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Dissertation sur la musique

Par Valentin Besnou   •  25 Mai 2020  •  Dissertation  •  978 Mots (4 Pages)  •  24 510 Vues

La musique est omniprésente dans nos vies, dans notre culture et dans nos sociétés modernes. La musique nous procure du plaisir, du bien-être, de la joie, de la bonne humeur, de l’entrain. Aujourd’hui, d’après le dictionnaire Larousse la musique se définit par un art de s’exprimer par les sons, une suite de sons constituant un morceau de musique. Ludwig Van Beethoven disait « La musique est une révélation plus haute que toute sagesse et toute philosophie. »

Nous allons donc nous demander si la musique n’est-elle qu’un simple divertissement ? Pour ce faire dans un premier temps le rapport de l’humain à la musique, c’est un moyen de communication et d’expression et dans un second temps avec le rôle qu’elle nous apportes , au niveau cognitif et au niveau de la cohésion.

Pour commencer, nous affirmons que la musique et ses instruments sont des moyens d’expressions. Ils permettent aux musiciens de s’exprimer sur les différentes humeurs, point de vues, sensations ou encore leur ressenti dans ce monde. L’instrument est comme la continuité d’un artiste , une extensions du corps d’un artiste. Il en résulte des sons, mélodies que le musicien transmet , il donne son savoir grâce à lui. En effet, il suffit d’écouter pour les fans de rock Linkin Park sur le morceau mondialement connue Numb les effets des différents instruments sur notre propre ressenti, le piano qui apaise la mélodie alors que la batterie et la guitare électrique donne la rage, entraine tous nos sens. Ses différents instruments nous transportent là où notre imagination à envie de nous transporter.

Continuons, depuis la nuit des temps la musique fait partit de la société et a évolué avec au fil des années. Il y a des styles pour tous et toujours de nouvelles musiques apparaissent. Dans les moments noirs, elle nous fait pleurer, quand on est enfermer, elle nous évade et quand on est heureux elle libère en nous des sensations de joies. Nous pouvons dire qu’elle apporte beaucoup aux hommes. Elles est utilisés depuis au moins 5000 ans chez les indiens et chinois dans la médecine traditionnelle pour soigner des maladies et en Europe, elle est étudié sur ses bienfaits depuis les années 50.

En effet, elle agit comme un anesthésiant à la douleur. Écouter de la musique avant, pendant ou après une intervention chirurgicale a un effet bénéfique sur les patients en diminuant notamment leur anxiété.

Elle ralentit le vieillissement cognitif. Chez les patients touchés par la maladie d’Alzheimer, la musique permet de réactiver les capacités résiduelles de la mémoire.

Elle peut agir sur les troubles du langage. Ceux qui peuvent être touchés par des troubles de la dyslexie ont une possibilité de traitement par la musique. Des études prouvent que les musiciens ont en effet des facultés de langage plus performantes que les non-musiciens.

Par ailleurs, les chansons nous rapproches de nos ancêtres et de nos prochains. Nous nous lions plus simplement à nos semblables grâce à celle-ci. Elle créé du lien entre les générations. Nous ne pouvons imaginer une fête sans musiques ou encore un enterrement sans musiques … Elles est présente même quand on n’y prête pas attentions : dans un restaurants, dans un magasins , à la télévisions , etc. Elle est partout

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Dissertation sur la musique moderne

Préface [ modifier ].

S’il est vrai que les circonstances et les préjugés décident souvent du sort d’un ouvrage, jamais auteur n’a dû plus craindre que moi. Le public est aujourd’hui si indisposé contre tout ce qui s’appelle nouveauté  ; si rebuté de systèmes et de projets, surtout en fait de musique, qu’il n’est plus guère possible de lui rien offrir en ce genre sans s’exposer à l’effet de ses premiers mouvements, c’est-à-dire, à se voir condamné sans être entendu.

D’ailleurs, il faudrait surmonter tant d’obstacles, réunis non par la raison, mais par l’habitude et les préjugés bien plus forts qu’elle, qu’il ne paraît pas possible de forcer de si puissantes barrières ; n’avoir que la raison pour soi, ce n’est pas combattre à armes égales, les préjugés sont presque toujours sûrs d’en triompher, et je ne connais que le seul intérêt capable de les vaincre à son tour.

Je serais rassuré par cette dernière considération, si le public était toujours bien attentif à juger de ses vrais intérêts : mais il est pour l’ordinaire assez nonchalant pour en laisser la direction à des gens qui en ont de tout opposés, et il aime mieux se plaindre éternellement d’être mal servi, que de se donner des soins pour l’être mieux.

C’est précisément ce qui arrive dans la musique  ; on se récrie sur la longueur des maîtres et sur la difficulté de l’art. et l’on rebute ceux qui proposent de l’éclaircir et de l’abréger. Tout le monde convient que les caractères de la musique sont dans un état d’imperfection peu proportionné aux progrès qu’on a faits dans les autres parties de cet art : cependant on se défend contre toute proposition de les refermer comme contre un danger affreux : imaginer d’autres signes que ceux dont s’est servi le divin Lully, est non seulement la plus haute extravagance dont l’esprit humain soit capable, mais c’est encore une espèce de sacrilège. Lully est un Dieu dont le doigt est venu fixer à jamais l’état de ces sacrés caractères : éternisés par ses ouvrages  ; il n’est plus permis d’y toucher sans se rendre criminel, et il faudra au pied de la lettre que tous les jeunes Gens qui apprendront désormais la musique payent un tribut de deux ou trois ans de peine au mérite de Lully.

Si ce ne sont pas là les propres termes, c’est du moins le sens des objections que j’ai oui faire cent fois contre tout projet qui tendrait à réformer cette partie de la musique. Quoi ! faudra-t-il jeter au feu tous nos auteurs ? Tout renouveler ? La Lande, Bernier, Corelli ? Tout cela serait donc perdu pour nous ? Où prendrions-nous de nouveaux Orphées pour nous en dédommager, et quels seraient les musiciens qui voudraient se résoudre à redevenir écoliers ?

Je ne sais pas bien comment l’entendent ceux qui font ces objections  ; mais il me semble qu’en les réduisant en maximes, et en détaillant un peu les conséquences, on en ferait des aphorismes fort singuliers pour arrêter tout court le progrès des Lettres et des Beaux-arts.

D’ailleurs, ce raisonnement porte absolument à faux, et l’établissement des nouveaux caractères, bien loin de détruire les anciens ouvrages, les conserverait doublement, par les nouvelles éditions qu’on en ferait, et par les anciennes qui subsisteraient toujours. Quand on a traduit un auteur, je ne vois pas la nécessité de jeter l’original au feu. Ce n’est donc ni l’ouvrage en lui-même, ni les exemplaires qu’on risquerait de perdre, et remarquez, surtout, que quelqu’avantageux que pût être un nouveau système, il ne détruirait jamais l’ancien avec assez de rapidité pour en abolir tout d’un coup l’usage ; les livres en seraient usés avant que d’être inutiles, et quand ils ne serviraient que de ressource aux opiniâtres, on trouverait toujours assez à les employer.

Je sais que les musiciens ne sont pas traitables sur ce chapitre. La musique pour eux n’est pas la science des sons, c’est celle des noires, des blanches, des doubles croches, et dès que ces figures cesseraient d’affecter leurs yeux, ils ne croiraient jamais voir réellement de la musique. La crainte de redevenir écoliers, et surtout le train de cette habitude qu’ils prennent pour la science même, leur feront toujours regarde avec mépris ou avec effroi tout ce qu’on leur proposerait en ce genre. Il ne faut donc pas compter sur leur approbation  ; il faut même compter sur toute leur résistance dans l’établissement des nouveaux caractères, non pas comme bons ou comme mauvais en eux-mêmes, mais simplement comme nouveaux.

Je ne sais quel aurait été le sentiment particulier de Lully sur ce point, mais je suis presque sûr qu’il était trop grand homme pour donner dans ces petitesses ; Lully aurait senti que sa science ne tenait point à des caractères ; que ses sons ne cesseraient jamais d’être des sons divins quelques signes qu’on employât pour les exprimer, et qu’enfin, c’était toujours un service important à rendre à son art et au progrès de ses ouvrages, que de les publier dans une langue aussi énergique, mais plus facile à entendre, et qui par là deviendrait plus universelle, dût-il en coûter l’abandon de quelques vieux exemplaires, dont assurément il n’aurait pas cru que le prix fut à comparer à la perfection générale de l’art.

La malheur est que ce n’est pas à des Lully que nous avons à faire. Il est plus aisé d’hériter de sa science que de son génie. Je ne sais pourquoi la musique n’est pas amie du raisonnement, mais si ses élèves sont si scandalisés de voir un confrère réduire son art en principes, l’approfondir, et le traiter méthodiquement, à plus forte raison ne souffriraient-ils pas qu’on osât attaquer les parties mêmes de cet art.

Pour juger de la façon dont on y serait reçu, on n’a qu’à se rappeler combien il a fallu d’années de lutte et d’opiniâtreté pour substituer l’usage du si à ces grossières muances qui ne sont pas même encore abolies partout. On convenait bien que l’échelle était composée de sept sons différents, mais on ne pouvait se persuader qu’il fût avantageux de leur donner à chacun un nom particulier puisqu’on ne s’en était pas avisé jusques-là, et que la musique n’avait pas laissé que d’aller son train.

Toutes ces difficultés sont présentes à mon esprit avec toute la force qu’elles peuvent avoir dans celui des lecteurs. Malgré cela, je ne saurais croire qu’elles puissent tenir contre les vérités de démonstration que j’ai à établir. Que tous les systèmes qu’on a proposés en ce genre aient échoué jusqu’ici, je n’en suis point étonné : même à égalité d’avantages et de défauts l’ancienne méthode devait sans contredit l’emporter, puisque pour détruire un système établi, il faut que celui qu’on veut substituer lui soit préférable, non seulement en les considérant chacun en soi-même et par ce qu’il a de propre, mais encore en joignant au premier toutes les raisons d’ancienneté et tous les préjugés qui le fortifient.

C’est ce cas de préférence où le mien me parait être et où l’on reconnaîtra qu’il est en effet, s’il conserve les avantages de la méthode ordinaire, s’il en sauve les inconvénients, et enfin s’il résout les objections extérieures qu’on oppose à toute nouveauté de ce genre, indépendamment de ce qu’elle est en soi-même.

A l’égard des deux premiers points ils seront discutés dans le corps de l’ouvrage, et l’on ne peut savoir à quoi s’en tenir qu’après l’avoir lu ; pour le troisième, rien n’est si simple à décider. Il ne faut, pour cela, qu’exposer le but même de mon projet et les effets qui doivent résulter de son exécution.

Le système que je propose roule sur deux objets principaux. L’un de noter la musique et toutes ses difficultés d’une manière plus simple, plus commode, et sous un moindre volume.

Le second et les plus considérable, est de la rendre aussi aisée à apprendre qu’elle a été rebutante jusqu’à présent, d’en réduire les signes à un plus petit nombre sans rien retrancher de l’expression, et d’en abréger les règles de façon à faire un jeu de la théorie, et à n’en rendre la pratique dépendante que de l’habitude des organes, sans que la difficulté de la note y puisse jamais entrer pour rien.

Il est aisé de justifier par l’expérience qu’on apprend la musique en deux et trois fois moins de temps par ma méthode que par la méthode ordinaire, que les musiciens formés par elle seront plus sûrs que les autres à égalité de science, et qu’enfin sa facilité est telle que quand on voudrait s’en tenir à la musique ordinaire, il faudrait toujours commencer par la mienne pour y parvenir plus sûrement et en moins de temps. Proposition qui toute paradoxe qu’elle paraît, ne laisse pas d’être exactement vraie, tant par le fait que par la démonstration. Or ces faits supposés vrais, toutes les objections tombent d’elles-mêmes et sans ressource. En premier lieu ; la musique notée suivant l’ancien système ne sera point inutile, et il ne faudra point se tourmenter pour la jeter au feu, puisque les élèves de ma méthode parviendront à chanter à livre ouvert sur la musique ordinaire en moins de temps encore, y compris celui qu’ils auront donné à la mienne, qu’on ne le fait communément  ; comme ils sauront donc également l’une et l’autre sans y avoir employé plus de temps, on ne pourra pas déjà dire à l’égard de ceux-là que l’ancienne musique est inutile.

Supposons des écoliers que n’aient pas des années à sacrifier, et qui veuillent bien se contenter de savoir en sept ou huit mois de temps chanter à livre ouvert sur ma note, je dis que la musique ordinaire ne sera pas même perdue pour eux. A la vérité, au bout de ce temps-là, ils ne la sauront pas exécuter à livre ouvert : peut-être, même, ne la déchiffreront-ils pas sans peine : mais enfin, ils la déchiffreront ; car, comme ils auront d’ailleurs l’habitude de la mesure et celle de l’intonation, il suffira de sacrifier cinq ou six leçons de le septième mois à leur en expliquer les principes par ceux qui leur seront déjà connus, pour les mettre en état d’y parvenir aisément par eux-mêmes, et sans le secours d’aucun maître ; et quand ils ne voudraient pas se donner ce soin, toujours seront-ils capables de traduire sur le champ toute sorte de musique par la leur, et par conséquent, ils seraient en état d’en tirer parti, même dans un temps où elle est encore indéchiffrable pour les écoliers ordinaires.

Les maîtres ne doivent pas craindre de redevenir écoliers : ma méthode est si simple qu’elle n’a besoin que d’être lue et non pas étudiée, j’ai lieu de croire que les difficultés qu’ils y trouveraient viendraient plus des dispositions de leur esprit que de l’obscurité du système, puisque des dames à qui j’ai eu l’honneur de l’expliquer ont chanté sur le champ et à livre ouvert de la musique notée suivant cette méthode, et ont elles-mêmes noté des airs fort correctement, tandis que des musiciens du premier ordre auraient, peut-être, affecté de n’y rien comprendre.

Les musiciens, je dis du moins le plus grand nombre, ne se piquent guère de juger des choses sans préjugés et sans passion, et communément ils les considèrent bien moins par ce qu’elles sont en elles-mêmes, que par le rapport qu’elles peuvent avoir à leur intérêt. Il est vrai que même en ce sens-là, ils n’auraient nul sujet de s’opposer au succès de mon système, puisque dès qu’il est publié ils en sont les maîtres aussi bien que moi, et que la facilité qu’il introduit dans la musique devant naturellement lui donner un cours plus universel, ils n’en seront que plus occupés en contribuant à le répandre. Il est cependant très probable qu’ils ne s’y livreront pas les premiers, et qu’il n’y a que le goût décidé du public qui puisse les engager à cultiver un système dont les avantages paraissent autant d’innovations dangereuses contre la difficulté de leur art.

Quand je parle des musiciens en général, je ne prétends point y confondre ceux d’entre ces Messieurs qui font l’honneur de cet art par leur caractère et par leurs lumières. Il n’est que trop connu que ce qu’on appelle peuple domine toujours par le nombre dans toutes les sociétés et dans tous les états ; mais il ne l’est pas moins qu’il y a partout des exceptions honorables, et tout ce qu’on pourrait dire en particulier contre la profession de la musique, c’est que le peuple y est, peut-être, un peu plus nombreux, et les exceptions plus rares.

Quoiqu’il en soit, quand on voudrait supposer et grossir tous les obstacles qui peuvent arrêter l’effet de mon projet, on ne saurait nier ce fait plus clair que le jour, qu’il y a dans Paris deux et trois mille personnes, qui, avec beaucoup de dispositions, n’apprendront jamais la musique, par l’unique raison de sa longueur et de sa difficulté. Quand je n’aurais travaillé que pour ceux-là, voilà déjà une utilité sans réplique ; et qu’on ne dise pas que cette méthode ne leur servira de rien pour exécuter sur la musique ordinaire : car, outre que j’ai déjà répondu à cette objection ; il sera d’autant moins nécessaire pour eux d’y avoir recours qu’on aura soin de leur donner des éditions des meilleures pièces de musique de toute espèce et des recueils périodiques d’Airs à chanter et de symphonies, en attendant que le système soit assez répandu pour en rendre l’usage universel.

Enfin, si l’on outrait assez la défiance pour s’imaginer que personne n’adopterait mon système, je dis que même dans ce cas là, il serait encore avantageux aux amateurs de l’art de le cultiver pour leur commodité particulière. Les exemples qu’on trouve notés à la fin de cet ouvrage feront assez comprendre les avantages de mes signes sur les signes ordinaires, soit pour la facilité, soit pour la précision. On peut avoir en cent occasions des airs à noter sans papier réglé ; ma méthode vous en donne un moyen très commode et très simple. Voulez-vous envoyer en province des airs nouveaux, des scènes entières d’opéra sans augmenter le volume de vos lettres ? Vous pouvez écrire sur la même feuille de très longs morceaux de musique. Voulez-vous en composant peindre aux yeux le rapport de vos parties, le progrès de vos accords, et tout l’état de votre harmonie ? La pratique de mon système satisfait à tout cela, et je conclus enfin qu’à ne considérer ma méthode que comme cette langue particulière des prêtres égyptiens, qui ne servait qu’à traiter des sciences sublimes, elle serait encore infiniment inutile aux initiés dans la musique, avec cette différence, qu’au lieu d’être plus difficile, elle serait plus aisée que la langue ordinaire, et ne pourrait, par conséquent, être longtemps un mystère pour le public.

Il ne faut point regarder mon système comme un projet tendant à détruire les anciens caractères. Je veux croire que cette entreprise serait chimérique, même avec la substitution la plus avantageuse ; mais je crois aussi que la commodité des miens, et surtout leur extrême facilité méritent toujours qu’on les cultive indépendamment de ce que les autres pourront devenir.

Au reste, dans l’État de la musique, il n’est point extraordinaire que plusieurs personnes aient tenté de les refondre ou de les corriger. Il n’est pas même bien étonnant que plusieurs se soient rencontrés dans le choix substitution, tels que sont les chiffres. Cependant, comme la plupart des hommes ne jugent guère des choses que sur le premier coup d’œil, il pourra très bien arriver que par cette unique raison de l’usage des mêmes caractères on m’accusera de n’avoir fait que copier, et de donner ici un système renouvelé. J’avoue qu’il est aisé de sentir que c’est bien moins le genre des signes que la manière de les employer qui constitue la différence en fait de systèmes`autrement, il faudrait dire, par exemple, que l’Algèbre et la langueur française ne sont que la même chose parce qu’on s’y sert également des lettres de l’alphabet ; mais cette réflexion ne sera pas probablement celle qui l’emportera, et il paraît si heureux par une seule objection de m’ôter à la fois le mérite de l’invention, et de mettre sur mon compte les vices des autres systèmes, qu’il est des gens capables d’adopter cette critique uniquement à raison de sa commodité.

Quoiqu’un pareil reproche ne me fut pas tout à fait indifférent, j’y serait bien moins sensible qu’à ceux qui pourraient tomber directement sur mon système. Il importe beaucoup plus de savoir s’il est avantageux, que d’en bien connaître l’autre ; et quand on me refuserait l’honneur de l’invention, je serais moins touché de cette injustice que du plaisir de le voir utile au public. La seule grâce que j’ai droit de lui demander et que peu de gens m’accorderont, c’est de vouloir bien n’en juger qu’après avoir lu mon ouvrage et ceux qu’on m’accuserait d’avoir copiés.

J’avais d’abord résolu de ne donner ici qu’un plan très abrégé, et tel, à peut près, qu’il était contenu dans le Mémoire que j’eus l’honneur de lire à l’Académie Royal des Sciences le 22 août 1742. J’ai réfléchi cependant, qu’il fallait parler au public autrement qu’on ne parle à une Académie, et qu’il y avait bien des objections de toute espèce à prévenir. Pour répondre donc à celles que j’ai pu prévoir, il a fallu faire quelques additions qui ont mis mon ouvrage en l’état où le voilà. J’attendrai l’approbation du public pour en donner un autre qui contiendra les principes absolus de ma méthode, tels qu’ils doivent être enseignés aux écoliers. J’y traiterai d’une nouvelle manière de chiffrer l’accompagnement de l’orgue et du clavecin entièrement diffèrent de tout ce qui a paru jusqu’ici dans ce genre, et telle qu’avec quatre signes seulement je chiffre toute sorte de basses continues, de manière à rendre la modulation et la basse-fondamentale toujours parfaitement connues de l’accompagnateur, sans qu’il lui soit possible de s’y tromper. Suivant cette méthode, on peut, sans voir la basse-figurée, accompagner très juste par les chiffres seuls, qui au lieu d’avoir rapport à cette basse-figurée, l’ont directement à la fondamental  ; mais ce n’est pas ici le lieu d’en dire davantage sur cet article.

== Dissertation ==

Il parait étonnant que les signes de la musique étant restés aussi longtemps dans l’état d’imperfection où nous les voyons encore aujourd’hui, la difficulté de l’apprendre n’ait pas averti le public que c’était la faute des caractères et non pas celle de l’art, ou, que s’en était aperçu, on n’ait pas daigné y remédier. Il est vrai qu’on a donné souvent des projets en ce genre : mais de tous ces projets, qui, sans avoir les avantages de la musique ordinaire en avaient les inconvénients, aucun, que je sache, n’a jusqu’ici touché le but ; soit qu’une pratique trop superficielle ait fait échouer ceux qui l’ont voulu considérer théoriquement, soit que le génie étroit et borné des musiciens ordinaires les ait empêchés d’embrasser un plan général et raisonné, et de sentir les vrais défauts de leur art, de la perfection actuelle duquel ils sont, pour l’ordinaire, très entêtés.

La musique a eu le sort des arts qui ne se perfectionnent que successivement. Les inventeurs de ses caractères n’ont songé qu’à l’état où elle trouvait de leur temps, sans prévoir celui où elle pouvait parvenir dans la suite. Il est arrivé delà que leur système s’est bientôt trouvé défectueux, et d’autant plus défectueux que l’art s’est plus perfectionné. A mesure qu’on avançait, on établissait des règles pour remédier aux inconvénients présents, et pour multiplier une expression trop bornée, qui ne pouvait suffire aux nouvelles combinaisons dont on la chargeait tous les jours. E. Sauveur, n’ayant eu en vue que quelques propriétés des sons, et surtout, la pratique du chant qui était en usage de leur temps, ils se sont contentés de faire, par rapport à cela, des systèmes de musique que d’autres ont peu à peu changés à mesure que le goût de la musique changeait. Or il n’est pas possible qu’un système, fût-il d’ailleurs le meilleur du monde dans son origine, ne se charge à la fin d’embarras et de difficultés par les changements qu’on y fait et les chevilles qu’on y ajoute, et cela ne saurait jamais faire qu’un tout fort embrouillé et fort mal assorti.

C’est le cas de la méthode que nous pratiquons aujourd’hui dans la musique, en exceptant, cependant, la simplicité du principe qui ne s’y est jamais rencontrée. Comme le fondement en est absolument mauvais, on ne l’a pas proprement gâté, on n’a fait que le rendre pire, par les additions qu’on a été contraint d’y faire.

Il n’est pas aisé de savoir précisément en quel état était la musique, quand Gui d’Arezze* s’avisa de supprimer tous les caractères qu’on y employait, pour leur substituer les notes qui sont en usage aujourd’hui. Ce qu’il y a de vraisemblable, c’est que ces premiers caractères étaient les mêmes avec lesquels les anciens Grecs exprimaient cette musique merveilleuse, de laquelle, quoiqu’on en dise, la nôtre n’approchera jamais quand à ses effets, et ce qu’il y a de s^pure, c’est que Gui rendit un fort mauvais service à la musique, et qu’il est fâcheux pour nous qu’il n’ait pas trouvé en son chemin des musiciens aussi indociles que ceux d’aujourd’hui.

  • Soit Gui d’Arezze, soit Jean de Mure, le nom de l’auteur ne fait rien au système, et je ne parle du premier que par ce qu’il est plus connu.

Il n’est pas douteux que les lettres de l’alphabet des Grecs, ne faussent en même temps les caractères de leur musique, et les chiffres de leur arithmétique : de sorte qu’ils n’avaient besoin que d’une seule espèce de signes, en tout au nombre de vingt-quatre, pour exprimer toutes les variations du discours, tous les rapports des nombres, et toutes les combinaisons des sons  ; en quoi ils étaient bien plus sages ou plus heureux que nous, qui somme contraints de travailler notre imagination sur une multitude de signes inutilement diversifiés.

Mais, pour ne m’arrêter qu’à ce qui regarde mon sujet, comment se peut-il qu’on ne s’aperçoive point de cette foule de difficultés que l’usage des notes à introduites dans la musique, ou que, s’en apercevant on n’ait pas le courage d’en tenter le remède, d’essayer de la ramener à sa première simplicité, et en un mot, de faire pour sa perfection ce que Gui d’Arezze a fait pour la gâter : car, en vérité, c’est le mot, et je le dis malgré moi.

J’ai voulu chercher les raisons dont cet auteur dut se servir pour faire abolir l’ancien système en faveur du sien, et je n’en ai jamais pu trouver d’autres que les deux suivantes. 1. Les notes sont plus apparentes que les chiffres. 2. Et leur position exprime mieux à la vue la hauteur et l’abaissement des sons. Voilà donc les seuls principes sur lesquels notre Aretin bâtit un nouveau système de musique, anéantit toute celle qui était en usage depuis deux mille ans, et apprit aux hommes à chanter difficilement. ( Pour trouver si Gui raisonnait juste, même en admettant la vérité de ses deux propositions, la question se réduirait à savoir si les yeux doivent être ménagés aux dépens de l’esprit, et si la perfection d’une méthode consiste à en rendre les signes plus sensibles en les rendant plus embarrassants : car c’est précisément le cas de la sienne.

Mais nous sommes dispensés d’enter là-dessus en discussion, puisque ces deux propositions étant également fausses et ridicules, elles n’ont jamais pu servir de fondement qu’à un très mauvais système.

en premier lieu  ; on voit d’abord que les notes de la musique remplissant beaucoup plus de place que les chiffres auxquels on les substitue, on peut, en faisant ces chiffres beaucoup plus gros, les rendre du moins aussi visibles que les notes, sans occuper plus de volume. On voit, de plus, que la musique notée ayant des points, des quarts de soupirs, des lignes, des clefs, des dièses, et d’autres signes nécessaires autant et plus menus que les chiffres, c’est par ces signes-là, et non par la grosseur des notes, qu’il faut déterminer le point de vue.

En second lieu  ; Gui ne devait pas faire sonner si haut l’utilité de la position des notes : puisque, sans parler de cette foule d’inconvénients dont elle est la cause, l’avantage qu’elle procure se trouve déjà tout entier dans la musique naturelle : c’est-à-dire, dans la musique par chiffres  ; on y voit du premier coup d’œil, de même qu’à l’autre, si un son est plus haut ou plus bas que celui qui le précède ou que celui qui le suit, avec cette différence seulement que dans la méthode des chiffres, l’intervalle, ou le rapport des deux sons qui le composent, est précisément connu par la seule inspection  ; au lieu que dans la musique ordinaire vous connaissez à l’œil qu’il faut monter ou descendre, et vous ne connaissez rien de plus.

On ne saurait croire quelle application, quelle persévérance, et quelle adroite mécanique est nécessaire dans le système établi, pour acquérir passablement la science des intervalles et des rapports : c’est l’ouvrage pénible d’une habitude toujours trop longue et jamais assez étendue, puisqu’après une pratique de quinze et vingt ans le musicien trouve encore des sauts qui l’embarrassent, non-seulement quant à l’intonation, mais encore quant à la connaissance de l’intervalle, surtout, lorsqu’il est question de sauter d’une clé à l’autre. Cet article mérite d’être approfondi, et j’en parlera plus au long.

Le système de Gui est tout à fait comparable, quant à son idée, à celui d’un homme qui, ayant fait réflexion que les chiffres n’ont rien dans leurs figures qui réponde à leurs différentes valeurs, proposerait d’établir entre eux une certaine grosseur relative, et proportionnelle aux nombres qu’ils expriment. Le deux, par exemple, serait du double plus gros que l’unité, le trois de la moitié plus gros que le deux, et ainsi de suite. Les défenseurs de ce système ne manqueraient pas de vous prouver qu’il est très avantageux dans l’arithmétique d’avoir sous les yeux des caractères uniformes qui, sans aucune différence par la figure, n’en auraient que par la grandeur, et peindraient en quelque sorte aux yeux les rapports dont ils seraient l’expression.

Au reste : cette connaissance oculaire des hauts, des bas, et des intervalles est si nécessaire dans la musique, qu’il n’y a personne qui ne sente le ridicule de certains projets qui ont été quelquefois donnés pour noter sur une seule ligne, par les caractères les plus bizarres, les plus mal imaginés, et les moins analogues à leur signification ; des queues tournées à droite, à gauche, en haut, en bas, et de biais dans tous les sens pour représenter des Ut, des Ré, des Mi, etc. Des têtes et des queues différemment situées pour répondre aux dénominations, Pa, ra, ga, so, bo, lo, do, ou d’autres signes tout aussi singulièrement appliqués. On sent d’abord que tout cela ne dit rien aux et n’a nul rapport à ce qu’il doit signifier, et j’ose dire que les hommes ne trouveront jamais de caractères convenables ni naturels que les seules chiffres pour exprimer les sons et tous leurs rapports. On en connaîtra mille fois les raisons dans le cours de cette lecture : en attendant, il suffit de remarquer que les chiffres étant l’expression qu’on a données aux nombres, et les nombres eux-mêmes étant les exposants de la génération des sons, rien n’est si naturel que l’expression des divers sons par les chiffres de l’arithmétique.

Il ne faut donc pas être surpris qu’on ait tenté quelquefois de ramener la musique à cette expression naturelle. Pour peu qu’on réfléchisse sur cet art, non en musicien, mais en philosophe, on en sent bientôt les défauts : l’on sent encore que ces défauts sont inhérents au fond même du système, et dépendants uniquement du mauvais choix et non pas du mauvais usage de ses caractères : car, d’ailleurs, on ne saurait disconvenir qu’une longue pratique suppléant en cela au raisonnement, ne nous ait appris à les combiner de la manière la plus avantageuse qu’ils peuvent l’être.

Enfin, le raisonnement nous mène encore jusqu’à connaître sensiblement que la musique dépendant des nombres elle devrait avoir la même expression qu’eux : nécessité qui ne naît pas seulement d’une certaine convenance générale, mais du fond même des principes physiques de cet art.

Quand on est une fois parvenu là, par une suite de raisonnements bien fondés et bien conséquents, c’est alors qu’il faut quitter la philosophie et redevenir musicien, et c’est justement ce que n’ont fait aucun de ceux qui jusqu’à présent ont proposé des systèmes en ce genre. Les uns, partant quelquefois d’une théorie très fine n’ont jamais su venir à bout de la ramener à l’usage, et les autres, n’embrassant proprement que le mécanique de leur art, n’ont pu remonter jusqu’aux grand principes qu’ils ne connaissaient pas, et d’où cependant, il faut nécessairement partir pour embrasser un système lié. Le défaut de pratique dans les uns, le défaut de théorie dans les autres, et peut-être, s’il faut le dire, le défaut de génie dans tous, ont fait que jusqu’à présent aucun des projets qu’on a publiés n’a remédié aux inconvénients de la musique ordinaire, en conservant ses avantages.

Ce n’est pas qu’il se trouve une grande difficulté dans l’expression des sons par les chiffres, puisqu’on pourrait toujours les représenter en nombre, ou par les degrés de leurs intervalles, ou par les rapports de leurs vibrations ; mais l’embarras d’employer une certaine multitude de chiffres sans ramener les inconvénients de la musique ordinaire, et le besoin de fixer le genre et la progression des sons par rapport à tous les différents modes, demandent plus d’attention qu’il ne paraît d’bord : car la question est proprement de trouver une méthode générale pour représenter, avec un très petit nombre de caractères, tous les sons de la musique considérés dans chacun des vingt-quatre modes.

Mais la grande difficulté où tous les inventeurs de systèmes ont échoué, c’est celle de l’expression des différentes durées des silences et des sons. Trompés par les fausses règles de la musique ordinaire, ils n’ont jamais pu s’élever au-dessus de l’idée des rondes, des noires et des croches ; ils se sont rendus les esclaves de cette mécanique, ils ont adopté les mauvaise relations qu’elle établit  ; ainsi, pour donner aux notes des valeurs déterminées, il a fallu inventer de nouveaux signes, introduire dans chaque note une complication de figures, par rapport à la durée, et par rapport au son, d’où s’ensuivent des inconvénients que n’a pas la musique ordinaire, c’est avec raison que toutes ces méthodes sont tombées dans le décri ; mais enfin, les défauts de cet art n’en subsistent pas moins pour avoir été comparés avec des défauts plus grands, et quand on publierait encore mille méthodes plus mauvaises, on en serait toujours au même point de la question, et tout cela ne rendrait pas plus parfaite celle que nous pratiquons aujourd’hui.

Tout le monde, excepté les artistes, ne cesse de se plaindre de l’extrême longueur qu’exige l’étude de la musique avant que de la posséder passablement : mais, comme la musique est une des sciences sur lesquelles on a moins réfléchi, soit que le plaisir qu’on y prend nuise au sens froid nécessaire pour méditer  ; soit que ceux qui la pratiquent ne soient pas trop communément gens à réflexions, on ne s’est guère avisé jusqu’ici de rechercher les véritables causes de sa difficulté, et l’on a injustement taxé l’art même des défauts que l’artiste y avait introduits.

On sent bien, à la vérité, que cette quantité de lignes, de clés, de transpositions, de dièses, de bémols, de bécarres, de mesures simples et composées, de rondes, de blanches, de noires, de croches, de doubles, de triples croches, de pauses, de demi-pauses, de soupirs, de demi-soupirs, de quarts de soupir, etc. donne une foule de signes et de combinaisons d’où résulte bien de l’embarras et bien des inconvénients : mais quels sont précisément ces inconvénients ? naissent-ils directement de la musique elle-même, ou de la mauvaise manière de l’exprimer ? Sont-ils susceptibles de correction, et quels sont les remèdes convenables qu’on y pourrait apporter, il est rare qu’on pousse l’examen jusque-là`et après avoir eu la patience pendant des années entières de s’emplir la tête de sons, et la mémoire de verbiage, il arrive souvent qu’on est tout étonné de ne rien concevoir à tout cela, qu’on prend en dégoût la musique et le musicien, et qu’on laisse là l’un et l’autre, plus convaincu de l’ennuyeuse difficulté de cet art, que de ses charmes si vantés.

J’entreprends de justifier la musique des torts dont on l’accuse, et de montrer qu’on peut, par des routes plus courtes et plus faciles, parvenir à la posséder plus parfaitement et avec plus d’intelligence que par la méthode ordinaire, afin que si le public persiste à vouloir s’y tenir, il ne s’en prenne du moins qu’à lui-même des difficultés qu’il y trouvera.

Sans vouloir entrer ici dans le détail de tous les défauts du système établi, j’aurai, cependant, occasion de parler des plus considérables, et il sera bon d’y remarquer toujours que ces inconvénients étant des suites nécessaires du fond même de la méthode, il est absolument impossible de les corriger autrement que par une refonte générale telle que je la propose ; il reste à examiner si mon système remédie en effet à tous ces défauts sans en introduire d’équivalents, et c’est à cet examen que ce petit ouvrage est destiné.

En général  ; on peut réduire tous les vices de la musique ordinaire à trois classes principales. La première est la multitude des signes et de leurs combinaisons qui surchargent inutilement l’esprit et la mémoire des commençants, de façon que l’oreille étant formée, et les organes ayant acquis toute la facilité nécessaire longtemps avant qu’on soit en état de chanter à livre ouvert, il s’ensuit que la difficulté est toute dans l’observation des règles, et nullement dans l’exécution du chant. La seconde est le défaut d’évidence dans le genre des intervalles exprimés sur la même ou sur différentes clés. Défaut d’une si grande étendue, que, non seulement, il est la cause principale de la lenteur du progrès des écoliers ; mais encore qu’il n’est point de musicien formé qui n’en soit quelquefois incommodé dans l’exécution. La troisième enfin, est l’extrême diffusion des caractères et le trop grand volume qu’ils occupent, ce qui joint à ces lignes et à ces portées si ennuyeuses à tracer, devient une source d’embarras de plus d’une espèce. Peut-être cet article paraîtra-t-il de légère considération à bien des lectures : mais s’ils font réflexion à ce qui doit constituer la perfection des signes dans tous les genres et surtout en fait de musique, ils sentiront qu’elle consiste essentiellement à beaucoup exprimer en peu d’espace, et qu’enfin dans les choses d’institution, et dans les choses générales, le moins bien n’est jamais un petit défaut.

Il paraît d’abord assez difficile de trouver une méthode qui puisse remédier à tous ces inconvénients à la fois. Comment donner plus d’évidence à nos signes, sans les augmenter en nombre ? Et comment les augmenter en nombre, sans les rendre d’un côté plus longs à apprendre, plus difficiles à retenir, et de l’autre, plus étendus dans leur volume ?

Cependant, à considérer la chose de près, on sent bientôt que tous ces défauts partent de la même source ; savoir, de la mauvaise institution des signes et de la quantité qu’il en a fallu établir pour suppléer à l’expression bornée et mal entendue qu’on leur a donnée en premier lieu ; et il est démonstratif que dès qu’on aura inventé des signes équivalents, mais plus simples, et en moindre quantité, ils auront par là même plus de précision et pourront exprimer autant de choses en moins d’espace.

Il serait avantageux, outre cela, que ces signes fussent déjà connus, afin que l’attention fut moins partagée, et facile à figurer, afin de rendre la musique plus commode.

Voilà les vues que je me suis proposées, en méditant le système que je présent au public. Comme je destine un autre ouvrage au détail de ma méthode telle qu’elle doit être enseignée au écoliers, on n’en trouvera ici qu’un plan général qui suffira pour en donner la parfaite intelligence aux personnes qui cultivent actuellement la musique, et dans lequel j’espère, malgré sa brièveté, que la simplicité de mes principes ne donnera lieu ni à l’obscurité, ni à l’équivoque.

Il faut d’abord considérer dans la musique deux objets principaux chacun séparément. Le premier doit être l’expression de tous les sons possibles, et l’autre, celles de toutes les différentes durées tant des sons que de leurs silences relatifs,, ce qui comprend aussi la différence des mouvements.

Comme la musique n’est qu’un enchaînement de sons qui se font entendre, ou tous ensemble, ou successivement, il suffit que tous ces sons aient des expressions relatives qui leur assignent à chacun la place qu’il doit occuper par rapport à un certain son fondamental naturel ou arbitraire, pourvu que ce son fondamental soit nettement exprimé et que la relation soit facile à connaître. Avantages que n’a déjà point la musique ordinaire où le son fondamental n’a nulle évidence particulière, et où tous les rapports des notes ont besoin d’être longtemps étudiés.

Mais comment faut-il procéder pour déterminer ce son fondamental de la manière la plus avantageuse qu’il est possible, c’est d’abord une question qui mérite fort d’être examinée. On voit déjà qu’il n’est aucun son dans la nature qui contienne quelque propriété particulière et connue, par laquelle on puisse le distinguer toutes les fois qu’on l’entendra. Vous ne sauriez décider sur un son unique que ce soit un ut plutôt qu’un la ou un ré, et tant que vous l’entendrez seul vous n’y pouvez rien apercevoir qui vous doive engager à lui attribuer un nom plutôt qu’un autre. C’est ce qu’avait déjà remarqué Moeurs de Mairan. Il n’y a, dit-il, dans la nature ni ut ni sol qui soit quinte ou quarte par soi-même, parce que ut, sol, ou re n’existent qu’hypothétiquement selon le son fondamental que l’on a adopté. La sensation de chacun des tons n’a rien en soi de propre à la place qu’il tient dans l’étendue du clavier, rien qui le distingue des autres pris séparément. Le Re de l’Opéra pourrait être l’Ut de Chapelle, ou au contraire : la même vitesse, la même fréquence de vibrations qui constitue l’un pourra servir quand on voudra à constituer l’autre  ; ils ne diffèrent dans le sentiment qu’en qualité de plus haut ou de plus bas, comme huit vibrations, par exemple, différent de neuf, et non pas d’une différence spécifique de sensation.

Voilà donc tous les sons imaginables réduits à la seule faculté d’exciter des sensations par les vibration qui les produisent, et la propriété spécifique de chacun d’eux réduite au nombre particulier de ces vibrations pendant un temps déterminé : or comme il est impossible de compter ces vibrations, du moins d’une manière directe, il reste démontré qu’on ne peut trouver dans les sons aucune propriété spécifique par laquelle on les puisse reconnaître séparément, et à plus forte raison qu’il n’y a aucun d’eux qui mérite par préférence d’être distingué de tous les autres et de servir de fondement aux rapports qu’ils ont entre eux.

Il est vrai que M. Sauveur avait proposé un moyen de déterminer un son fixe qui eut servi de base à tous les tons de l’échelle générale : mais ses raisonnements mêmes prouvent qu’il n’est point de son fixe dans la nature, et l’artifice très ingénieux et très impraticable qu’il imagina pour en trouver un arbitraire, prouve encore combien il y a loin des hypothèses, ou même, si l’on veut, des vérités de spéculation, aux simples règles de pratique.

Voyons, cependant, si en épiant la nature de plus près, nous ne pourrons point nous dispenser de recourir à l’art, pour établir un ou plusieurs sons fondamentaux, qui puissent nous servir de principe de comparaison pour y rapporter tous les autres.

D’abord, comme nous ne travaillons que pour la pratique, dans la recherche des sons nous ne parlerons que de ceux qui composent le système tempéré tel qu’il est universellement adopté, comptant pour rien ceux qui n’entrent point dans la pratique de notre musique, et considérant comme justes sans exception tous les accords qui résultent du tempérament. On verra bientôt que cette supposition, qui est la même qu’on admet dans la musique ordinaire, n’ôtera rien à la variété que le système tempéré introduit dans l’effet des différentes modulations.

En adoptant donc la suite de tous les sons du clavier telle qu’elle est pratiquée sur les orgues et les clavecins, l’expérience m’apprend qu’un certain son auquel on a donné le nom d’ut, rendu par un tuyau long de seize pieds ouvert, fait entendre assez distinctement, outre le son principal, deux autres sons plus faibles, l’un à la tierce majeure, et l’autre à la quinte*, auxquels on a donné les noms de mi et de sol. J’écris à part ces trois noms, et cherchant un tuyau à la quinte du premier qui rende le même son que je viens d’appeler sol ou son octave, j’en trouve un de dix pieds huit pouces de longueur, lequel outre le son principal sol, en rend aussi deux autres, mais plus faiblement  ; je les appelle si et re, et je trouve qu’ils sont précisément en même rapport avec le sol que le sol et le mi l’étaient avec l’ut ; je les écris à la suite des autres, omettant comme inutile d’écrire le sol une seconde fois. Cherchant un troisième tuyau à l’unisson de la quinte re, je trouve qu’il rend encore deux autres sons outre le son principal re, et toujours en même proportion que les précédents ; je les appelle fa et la**, et je les écris encore à la suite des précédents. En continuant de même sur le la, je trouverais encore deux autres sons  ; mais comme j’aperçois que la quinte est ce même mi qui a fait la tierce du premier son ut, je m’arrête là, pour ne pas redoubler inutilement mes expériences, et j’ai les sept nom suivants, répondants au premier son ut et aux six autres que j’ai trouvés de deux en deux.

Ut, mi, sol, si, re, fa, la.

  • C’est-à-dire, à la douzième, qui est la réplique de la quinte, et à la dix-septième, qui est la duplique de la tierce majeure. L’octave, et même plusieurs octaves s’entendent aussi assez distinctement, et s’entendraient bien mieux encore si l’oreille ne les confondait quelquefois avec le son principal.
  • Le fa qui fait la tierce majeure du re se trouve, par conséquent, dièse dans cette progression, et il faut avouer qu’il n’est pas aisé de développer l’origine du fa naturel considéré comme quatrième note du ton : mais il y aurait l`-dessus des observations à faire qui nous mèneraient loin et qui ne seraient pas propres à cet ouvrage. Au reste ; nous devons d’autant moins nous arrêter à cette légère exception qu’on peut démontrer que le fa naturel ne saurait être traité dans le ton d’ut que comme dissonance ou préparation à la dissonance.

Rapprochant ensuite tous ces sons par octaves dans les plus petits intervalles où je puis les placer, je les trouve rangés de cette sorte ;

Ut, re, mi, fa, sol, la, si.

Et ces sept notes ainsi rangées indiquent justement le progrès diatonique affecté au mode majeur par la nature même : or comme le premier son ut a servi de principe et de base à tous les autres, nous le prendrons pour ce son fondamental que nous avions cherché, parce qu’il est bien réellement la source et l’origine d’où sont émanés tous ceux qui le suivent. Parcourir ainsi tous les sons de cette échelle en commençant et finissant par le son fondamental, et en préférant toujours les premiers engendrés aux derniers, c’est ce qu’on appelle moduler dans le ton d’ut majeur, et c’est là proprement la gamme fondamentale qu’on est convenu d’appeler naturelle préférablement aux autres, et qui sert de règle de comparaison pour y conformer les sons fondamentaux de tous les tons praticables. Au reste : il est bien évident qu’en prenant le son rendu par tout autre tuyau pour le son fondamental ut, nous serions parvenues par des sons différents à une progression toute semblable, et que, par conséquent, ce choix n’est que de pure convention et tout aussi arbitraire que celui d’un tel ou tel méridien pour déterminer les degrés de longitude.

Il suit delà, que ce que nous avons fait en prenant ut pour base de notre opération, nous le pouvons faire de même en commençant par un des six sons qui le suivent, à notre choix, et qu’appelant ut ce nouveau son fondamental, nous arriverons à la même progression que si-devant, et nous trouverons tout de nouveau,

Avec cette unique différence que ces derniers sons étant placés à l’égard de leur son fondamental d la même manière que les précédents l’étaient à l’égard du leur, et ces deux sons fondamentaux étant pris sur différents tuyaux, il s’ensuit que leurs sons correspondants sont aussi rendus par différents tuyaux, et que le premier ut, par exemple, n’étant pas le même que le second, le premier re n’est pas non plus le même que le second.

A présent l’un de ces deux tons étant pris pour le naturel, si vous voulez savoir ce que les différents sons du second sont à l’égard du premier, vous n’avez qu’à chercher à quel son naturel du premier ton se rapporte le fondamental du second, et le même rapport subsistera toujours entre les sons de même dénomination de l’un et de l’autre ton dans les octaves correspondantes. Supposant, par exemple, que l’ut du second ton soit un sol au naturel, c’est-à-dire à la quinte de l’ut naturel, le re du second ton sera sûrement un la naturel, c’est-à-dire, la quinte du re naturel, le mi sera un si, le fa un ut, etc. et alors on dira qu’on est au ton majeur de sol, c’est-à-dire, qu’on a pris le sol naturel pour en faire le son fondamental d’un autre ton majeur.

Mais si, au lieu de m’arrêter en la dans l’expérience des trois sons rendus par chaque tuyau, j’avais continué ma progression de quinte en quinte jusqu’à me retrouver au premier ut d’où j’étais parti d’abord, ou à l’une de ses octaves, alors j’aurais passé par cinq nouveaux sons altérés des premiers, lesquels font avec eux la somme de douze sons différents renfermés dans l’étendue de l’octave, et faisant ensemble ce qu’on appelle les douze cordes du système chromatique.

Ces douze sons répliqués à différentes octaves font toute l’étendue de l’échelle générale sans qu’il puisse jamais s’en présenter aucun autre, du moins dans le système tempéré, puisqu’après avoir parcouru de quinte en quinte tous les sons que les tuyaux faisaient entendre, je suis arrivé à la réplique du premier par lequel j’avais commencé, et que, par conséquent, en poursuivant la même opération, je n’aurais jamais que les répliques, c’est-à-dire, les octaves des sons précédents.

La méthode que la nature n’a indiquée et que j’ai suivie pour trouver la génération de tous les sons pratiqués dans la musique m’apprend donc en premier lieu, non pas à trouver un son fondamental proprement dit qui n’existe point, mais à tirer d’un son établi par convention tous les mêmes avantages qu’il pourrait avoir s’il était réellement fondamental, c’est-`-dire, à en faire réellement l’origine et le générateur de tous les autres sons qui sont en usage et qui n’y peuvent être qu’en conséquence de certains rapports déterminés qu’ils ont avec lui, comme les touches du clavier à l’égard du C sol ut.

Elle m’apprend en second lieu qu’après avoir déterminé le rapport de chacun de ces sons avec le fondamental, on peut à son tour le considérer comme fondamental lui-même, puisque le tuyau qui le rend faisant entendre sa tierce majeure et sa quinte aussi bien que le fondamental, on trouve, en partant de ce son là comme générateur, une gamme qui ne diffère en rien quant à sa progression de la gamme établie en premier lieu. C’est-à-dire, en un mot, que chaque touche du clavier peut et doit même être considérée sous deux sens tout à fait différents ; suivant le premier, cette touche représente un son relatif au C sol ut, et qui en cette qualité s’appelle re ou mi ou sol, etc. selon qu’il est le second, le troisième ou le cinquième degré de l’octave renfermée entre deux ut naturels. Suivant le second sens elle est le fondement d’un ton majeur, et alors elle doit constamment porter le nom d’ut, et toutes les autres touches ne devant être considérées que par les rapports qu’elles ont avec la fondamentale, c’est ce rapport qui détermine alors le nom qu’elles doivent porter suivant le degré qu’elles occupent : comme l’octave renferme douze sons, il faut indiquer celui qu’on choisit et alors c’est un la ou un re etc. naturel, cela détermine le son : mais quand il faut le rendre fondamental et y fixer le ton, alors c’est constamment un ut, et cela détermine le progrès.

Il résulte de cette explication que chacun des douze sons de l’octave peut être fondamental ou relatif suivant la manière dont il sera employé, avec cette distinction que la disposition de l’ut naturel dans l’échelle des tons le rend fondamental naturellement, mais qu’il peut toujours devenir relatif à tout autre son que l’on voudra choisir pour fondamental ; au lieu que ces autres sons naturellement relatifs à celui d’ut ne deviennent fondamentaux que par une détermination particulière. Au reste ; il est évident que c’est la nature même qui nous conduit à cette distinction de fondement et de rapports dans les sons : chaque son peut être fondamental naturellement puisqu’il faut entendre ses harmoniques, c’est-à-dire, sa tierce majeure et sa quinte, qui sont les cordes essentielles du ton dont il est le fondement, et chaque son peut encore être naturellement relatif puisqu’il n’en est aucun qui ne soit une des harmoniques ou des cordes essentielles d’un autre son fondamental, et qui n’en puisse être engendré en cette qualité. On verra dans la suite pourquoi j’ai insisté sur ces observations.

Nous avons donc douze sons qui servent de fondements ou de toniques aux douze tons majeurs pratiqués dans la musique, et qui en cette qualité sont parfaitement semblables quant aux modifications qui résultent de chacun d’eux traité comme fondamental. A l’égard du mode mineur, il ne nous est point indiqué par la nature, et comme nous ne trouvons aucun son qui en fasse entendre les harmoniques nous pouvons concevoir qu’il n’a point de son fondamental absolu, et qu’il ne peut exister qu’en vertu du rapport qu’il a avec le mode majeur dont il est engendré, comme il est aisé de le faire voir*.

  • Voyez M. Rameau nouv.syst. p.21. et tr. de l’Harmo. p.12 et 13.

Le premier objet que nous devons donc nous proposer dans l’institution de nos nouveaux signes, c’est d’en imaginer d’abord un qui désigne nettement dans toutes les occasions la corde fondamentale que l’on prétend établir, et le rapport qu’elle a avec la fondamentale de comparaison, c’est-à-dire, avec l’ut naturel.

Supposons ce signe déjà choisi. la fondamentale étant déterminée, il s’agira d’exprimer tous les autres sons par le rapport qu’ils ont avec elle, car c’est elle seule qui en détermine le progrès et les altérations : ce n’est pas, à la vérité, ce qu’on pratique dans la musique ordinaire où les sons sont exprimés constamment par certains noms déterminés qui ont un rapport direct aux touches des instruments et à la gamme naturelle sans égard au ton où l’on est ni à la fondamentale qui le détermine : mais comme il est ni à la fondamentale qui le détermine : mais comme il est ici question de ce qu’il convient le mieux de faire et non pas de ce qu’on fait actuellement, est-on moins en droit de rejeter une mauvaise pratique, si je fais voir que celle que je lui substitue mérite la préférence, qu’on le serait de quitter un mauvais guide pour un autre qui vous montrerait un chemin plus commode et plus court ? Et ne ses moquerait-on pas du premier s’il voulait vous contraindre à le suivre toujours, par cette unique raison, qu’il vous égare depuis longtemps ?

Ces considérations nous mènent directement aux choix des chiffres pour exprimer les sons de la musique, puisque les chiffres ne marquent que des rapports et que l’expression des sons n’est aussi que celles des rapports qu’ils ont entre eux. Aussi avons-nous déjà remarqué que les Grecs ne se servaient des lettres de leur alphabet à cet usage, que parce que ces lettres étaient en même temps les chiffres de leur arithmétique, au lieu que les caractères de notre alphabet ne portant point communément avec eux les idées de nombres ni de rapports, ne seraient pas à beaucoup près si propres à les exprimer.

Il ne faut pas s’étonner après cela si l’on a tenté si souvent de substituer les chiffres aux notes de la musique ; c’était assurément le service le plus important que l’on eût pu rendre à cet art, si ceux qui l’ont entrepris avaient eu la patience ou les lumières nécessaires pour embrasser un système général dans toute son étendue. Le grand nombre de tentatives qu’on a faites sur ce point fait voir qu’on sent depuis longtemps les défauts des caractères établis. Mais il fait voir encore qu’il est bien plus aisé de les apercevoir que de les corriger  ; faut-il conclure delà que la chose est impossible.

Nous voilà donc déjà déterminés sur le choix des caractères  ; il est question maintenant de réfléchir sur la meilleure manière de les appliquer. il est sûr que cela demande quelque soin : car s’il n’était question que d’exprimer tous les sons par autant de chiffres différents il n’y aurait pas là grande difficulté : mais aussi n’y aurait-il pas non plus grand mérite, et ce serait ramener dans la musique une confusion encore pire que celle qui naît de la position des notes.

Pour n’éloigner le moins qu’il est possible de l’esprit de la méthode ordinaire, je ne ferai d’abord attention qu’au clavier naturel, c’est-à-dire, aux touches noires de l’orgue et du clavecin, réservant pour les autres des signes d’altération semblables à ceux qui se pratiquent communément. Ou plutôt, pour me fixer par une idée plus universelle, je considérerai seulement le progrès et le rapport des sons affectés au mode majeur, faisant abstraction à la modulation et aux changements de ton, bien sûr qu’en faisant régulièrement l’application de mes caractères, la fécondité de mon principe suffira à tout.

De plus : comme toute l’étendue du clavier n’est qu’une suite de plusieurs octaves redoublées, je me contenterai d’en considérer une à part, et je chercherai ensuite un moyen d’appliquer successivement à toutes, les mêmes caractères que j’aurai affectés aux sons de celle-ci. Par-là, je me conformerai à la fois à l’usage qui donne les mêmes noms aux notes correspondantes des différentes octaves, à mon oreille qui se plaît à en confondre les sons, à la raison qui me fait voir les mêmes rapports multipliés entre les nombres qui les expriment, et enfin je corrigerai un des grands défauts de la musique ordinaire qui est d’anéantir par une position vicieuse l’analogie et la ressemblance qui doit toujours se trouver entre les différentes octaves.

Il y a deux manières de considérer les sons et les rapports qu’ils ont entre eux  ; l’une par leur génération, c’est-à-dire, par les différentes longueurs des cordes ou des tuyaux qui les font entendre, et l’autre, par les intervalles qui les séparent du grave à l’aigu. A l’égard de la première, elle ne saurait être de nulle conséquence dans l’établissement de nos signes  ; soit parce qu’il faudrait de trop grands nombres pour les exprimer  ; soit enfin, parce que de tels nombres ne sont de nul avantage pour la facilité de l’intonation qui doit être ici notre grand objet.

Au contraire, la seconde manière de considérer les sons par leurs intervalles renferme un nombre infini d’utilités : c’est pratiqué actuellement. Il est vrai que suivant ce système, les notes n’ayant rien en elles-mêmes ni dans l’espace qui les sépare qui vous indique clairement le genre de l’intervalle, il faut annoncer un temps infini avant que d’avoir acquis toute l’habitude nécessaire pour le reconnaître au premier coup d’œil. Mais comme ce défaut vient uniquement du mauvais choix des signes, on n’en peut rien conclure contre le principe sur lequel ils sont établis, et l’on verra bientôt comment au contraire on tire de ce principe tous les avantages qui peuvent rendre l’intonation aisée à apprendre et à pratiquer.

Prenant ut pour ce son fondamental auquel tous les autres doivent se rapporter, et l’exprimant par le chiffre 1 nous aurons à sa suite l’expression des sept sons naturels, ut, re, mi, fa, sol, la, si, par les sept chiffres, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7  ; de façon que tant que le chant roulera dans l’étendue de ces sept sons, il suffira de les noter chacun par son chiffre correspondant pour les exprimer tous sans équivoque.

Il est évident que cette manière de noter conserve pleinement l’avantage si vanté de la position : car vous connaissez à l’œil aussi clairement qu’il est possible si un son est plus haut ou plus bas qu’un autre  ; vous voyez parfaitement qu’il faut monter pour aller de l’1 au 5, et qu’il faut descendre pour aller du 4 au 2 : cela ne souffre pas la moindre réplique.

Mais je ne m’étendrai pas ici sur cet article, et je me contenterai de toucher à la fin de cet ouvrage les principales réflexions qui naissent de la comparaison des deux méthodes  ; si l’on suit mon projet avec quelque attention, elles se présenteront d’elles-mêmes à chaque instant, et en laissant à mes lecteurs le plaisir de me prévenir, j’espère de me procurer la gloire d’avoir pensé comme eux.

Les sept premiers chiffres ainsi disposés marqueront, outre les degrés de leurs intervalles, celui que chaque son occupe à l’égard du son fondamental, de façon qu’il n’est aucun intervalle dont l’expression par chiffres ne vous présente un double rapport, le premier entre les deux sons qui le composent, et le second, entre chacun d’eux et le son fondamental.

Soit donc établi que le chiffre 1 s’appellera toujours ut, 2 s’appellera toujours re, 3 toujours mi, etc. conformément à l’ordre suivant.

1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

Ut, re, mi, fa,sol, la, si

Mais quand il est question de sortir de cette étendue pour passer dans d’autres octaves, alors cela forme une nouvelle difficulté. Car il faut nécessairement multiplier les chiffres, ou suppléer à cela par quelque nouveau signe qui détermine l’octave où l’on chante, autrement l’ut d’en haut étant écrit 1 aussi bien que l’ut d’en bas, le musicien ne pourrait éviter de les confondre, et l’équivoque aurait lieu nécessairement.

C’est ici le cas où la position peut être admise avec tous les avantages qu’elle a dans la musique ordinaire sans en conserver ni les embarras, ni la difficulté. Etablissons une ligne horizontale sur laquelle nous disposerons toutes les notes renfermées dans la même octave, c’est-à-dire depuis et compris l’ut d’en bas jusqu’à celui d’en haut exclusivement. Faut-il passer dans l’octave qui commence à l’ut d’en haut ? Nous placerons nos chiffres au-dessus de la ligne. Voulons-nous, au contraire, passer dans l’octave inférieure laquelle commence en descendant par le si qui suit l’ut posé sur la ligne ? Alors nous les placerons au-dessous de la même ligne. C’est-à-dire que la position qu’on est contraint de changer à chaque degré dans la musique ordinaire ne changera dans la mienne qu’à chaque octave et aura, par conséquent, six fois moins de combinaisons. (Voyez la planche Exemple 1.)

Après ce premier ut, je descends au sol de l’octave inférieure : je reviens à mon ut, et après avoir fait le mi et le sol de la même octave, je passe à l’ut d’en haut, c’est-à-dire, à l’ut qui commence l’octave supérieure : je redescends ensuite jusqu’au sol d’en bas par lequel je reviens finir à mon premier ut.

Vous pouvez voir dans ces exemples (voyez la pl. Ex.1 et 2.) comment le progrès de la voix est toujours annoncé aux yeux, ou par les différentes valeurs des chiffres s’ils sont de la même octave, ou par leurs différentes positions si leurs octaves sont différentes.

Cette mécanique est si simple qu’on la conçoit du premier regard, et la pratique en est la chose du monde la plus aisée. Avec une seule ligne vous modulez dans l’entendue de trois octaves, et s’il se trouvait que vous voulussiez passer encore au-delà, ce qui n’arrivera guère dans une musique sage, vous avez toujours la liberté d’ajouter des lignes accidentelles en haut et en as comme dans la musique ordinaire, avec la différence que dans celle-ci il faut onze lignes pour trois octaves, tandis qu’il n’en faut qu’une dans la mienne, et que je puis exprimer l’étendue de cinq, six  ; et près de sept octaves, c’est-à-dire, beaucoup plus que n’a d’étendue le grand clavier, avec trois lignes seulement.

Il ne faut pas confondre la position telle que ma méthode l’adopte avec celle qui se pratique dans la musique ordinaire : les principes en sont tout différents. La musique ordinaire n’a en vue que de vous indiquer des intervalles et de disposer en quelque façon vos organes par l’aspect du plus grand ou moindre éloignement des notes, sans s’embarrasser de distinguer assez bien le genre de ces intervalles ni le degré de cet éloignement pour en rendre la connaissance indépendante de l’habitude. Au contraire, la connaissance des intervalles qui fait proprement le fond de la science du musicien m’a paru un point si important, que j’ai cru en devoir faire l’objet essentiel de ma méthode. L’explication suivante montre comment on parvient par mes caractères à déterminer tous les intervalles possibles par leurs genres et par leurs noms, sans autre peine que celle de lire une fois ces remarques.

Nous distinguons d’abord les intervalles en directs et renversés, et les uns et les autres encore en simples et redoublés.

Je vais définir chacun de ces intervalles considéré dans mon système.

L’intervalle direct est celui qui est compris entre deux sons dont les chiffres sont d’accord avec le progrès, c’est-à-dire que le son le plus haut doit avoir aussi le plus grand chiffre, et le son le plus bas le chiffre le plus petit. (Voyez la pl. Exempl. 3.)

L’intervalle renversé est celui dont le progrès est contrarié par les chiffres : c’est-à-dire que si l’intervalle monte le second chiffre est le plus petit, et si l’intervalle descend le second chiffre est le plus grand. (Voyez la pl. Ex. 4.)

L’intervalle simple est celui qui ne passe pas l’étendue d’une octave. (Voyez la pl. Ex. 5.)

L’intervalle redoublé est celui qui passe l’étendue d’une octave. Il est toujours la réplique d’un intervalle simple. (Voyez Exemple 6.)

Quand vous entrez d’une octave dans la suivante, c’est-à-dire que vous passer de la ligne au-dessus ou au-dessous d’elle, ou vice-versa, l’intervalle est simple s’il est renversé, mais s’il est direct in sera toujours redoublé.

Cette courte explication suffit pour connaître à fond le genre de tout intervalle possible. Il faut à présent apprendre à en trouver le nom sur le champ.

Tous les intervalles peuvent être considérés comme formés des trois premiers intervalles simples qui sont la seconde, la tierce, la quarte ; dont les compléments à l’octave sont la septième, la sixte et la quinte ; à quoi si vous ajoutez cette octave elle-même, vous aurez tous les intervalles simples sans exception.

Pour trouver donc le nom de tout intervalle simple direct, il ne faut qu’ajouter l’unité à la différence des deux chiffres qui l’expriment. Soit, par exemple, cet intervalle 1, 5  ; la différence des deux chiffres est 4, à quoi ajoutant l’unité vous avez 5, c’est-à-dire la quinte pour le nom de cet intervalle ; il en serait de même si vous aviez eu 2, 6  ; ou 7, 3, etc. Soit cet autre intervalle 4, 5  ; la différence est 1, à quoi ajoutant l’unité vous avez 2, c’est-à-dire, une seconde pour le nom de cet intervalle. La règle est générale.

Si l’intervalle direct est redoublé, après avoir procédé comme ci-devant, il faut ajouter 7 pour chaque octave, et vous aurez encore très exactement le nom de votre intervalle : par exemple, vous voyez déjà que 1 3 est une tierce redoublée, ajoutez donc 7 à 3, et vous aurez 10, c’est-à-dire une dixième pour le nom de votre intervalle.

Si l’intervalle est renversé, prenez le complément du direct, c’est le nom de votre intervalle : ainsi, parce que la sixte est le complément de la tierce, et que cet intervalle 1 3, est une tierce renversée je trouve que c’est une sixte : si de plus il est redoublé, ajoutez-y autant de fois 7 qu’il y a d’octaves. Avec ce peu de règles, dans quelque cas que vous soyez vous pouvez nommer sur le champ et sans le moindre embarras quelque intervalle qu’on vous présente.

Voyons donc sur ce que je viens d’expliquer à quel point nous sommes parvenus dans l’art de solfier par la méthode que je propose.

D’abord toutes les notes sont connues sans exception  ; il n’a pas fallu bien de la peine pour retenir les noms de sept caractères uniques qui sont les seuls dont on ait à charger sa mémoire pour l’expression des sons  ; qu’on apprenne à les entonner juste en montant et en descendant, diatoniquement et par intervalles, et nous voilà tout d’un coup débarrassés des difficultés de la position.

A le bien prendre, la connaissance des intervalles par rapport à la nomination n’est pas d’une nécessité absolue, pourvu qu’on connaisse bien le ton d’où fait une quarte : et sûrement cela serait toujours bien moins nécessaire par ma méthode que par la commune, où la connaissance nette et précise des notes ne peut suppléer à celle des intervalles  ; au lieu que dans la mienne, quand l’intervalle serait inconnu, les deux notes qui le composent seraient toujours évidentes sans qu’on pût jamais s’y tromper dans quelque ton et à quelque clé que l’on fut. Cependant tous les avantages se trouvent ici tellement réunis, qu’au moyen de trois ou quatre observations très simples voilà mon écolier en état de nommer hardiment tout intervalle possible, soit sur la même partie, soit en sautant de l’une à l’autre, et d’en savoir plus à cet égard dans une heure d’application, que des musiciens de dix et douze ans de pratique : car on doit remarquer, que les opérations dont je viens de parler se font tout d’un coup par l’esprit et avec une rapidité bien éloignée des longues gradations indispensables dans la musique ordinaire pour arriver à la connaissance des intervalles, et qu’enfin les règles seraient toujours préférables à l’habitude, soit pour la certitude, soit pour la brièveté, quand même elles ne feraient que produire le même effet.

Mais ce n’est rien d’être parvenus jusqu’ici : il est d’autres objets à considérer et d’autres difficultés à surmonter.

Quand j’ai ce-devant affecté le nom d’ut au son fondamental de la gamme naturelle je n’ai fait que me conformer à l’esprit de la première institution du nom des notes et à l’usage général des musiciens, et quand j’ai dit que la fondamentale de chaque ton avait le même droit de porter le nom d’ut que ce premier son à qui il n’est affecté par aucune propriété particulière, j’y ai encore été autorisé par la pratique universelle de cette méthode qu’on appelle transposition, dans la musique vocale.

Pour effacer tout scrupule qu’on pourrait concevoir à cet égard, il faut expliquer ma pensée avec un peu plus d’étendue : le nom d’ut doit-il être nécessairement et toujours celui d’une touche fixe du clavier, ou doit-il au contraire être appliqué préférablement à la fondamentale de chaque ton, c’est la question qu’il s’agit de discuter.

A l’entendre énoncer de cette manière, on pourrait, peut-être, s’imaginer que ce n’est ici qu’une question de mots. Cependant elle influe trop dans la pratique pour être méprisée : il s’agit moins des noms en eux-mêmes, que de déterminer les idées qu’on leur doit attacher et sur lesquelles on n’a pas été trop bien d’accord jusqu’ici.

Demandez à une personne qui chante, ce que c’est qu’un ut, elle vous dira que c’est le premier ton de la gamme : demandez la même chose à un joueur d’instruments, il mous répondra que c’est une telle touche de son violon ou de son clavecin. Ils ont tous deux raison ; ils s’accordent même en un sens, et s’accorderaient tout à fait, si l’un ne se représentait pas cette gamme comme mobile, et l’autre cet ut comme invariable.

Puisque l’on est convenu d’un certain son à peu près fixe pour y régler la portée des voix et le diapason des instruments, il faut que ce son ait nécessairement un nom, et un nom fixe comme le son qu’il exprime  ; donnons-lui le nom d’ut  ; j’y consens. Réglons ensuite sur ce nom-là tous ceux des différents sons de l’échelle générale, afin que nous puissions indiquer le rapport qu’ils ont avec lui et avec les différentes touches des instruments : j’y consens encore, et jusques-là le symphoniste à raison.

Mais ces sons auxquels nous venons de donner des noms, et ces touches qui les font entendre, sont disposés de telle manière qu’ils ont entre eux et avec la touche ut certains rapports qui constituent proprement ce qu’on appelle ton, et ce ton dont ut est la fondamentale est celui que font entendre les touches noires de l’orgue et du clavecin quand on les joue dans un certain ordre, sans qu’il soit possible d’employer toutes les mêmes touches pour quelque autre ton dont ut ne serait pas la fondamentale, ni d’employer dans celui d’ut aucune des touches blanches du clavier lesquelles n’ont même aucun nom propre, et en prennent de différents s’appelant tantôt dièses et tantôt bémols suivant les tons dans lesquels elles sont employées.

Or quand on veut établir une autre fondamental, il faut nécessairement faire un tel choix des sons qu’on veut employer, qu’ils aient avec elle précisément les mêmes rapports que le re, le mi, le sol, et tous les autres sons de la gamme naturelle avaient avec l’ut. C’est le cas où le chanteur a droit de dire au symphoniste : pourquoi ne vous servez-vous pas des mêmes noms pour exprimer les mêmes rapports ? Au reste, je crois peu nécessaire de remarquer qu’il faudrait toujours déterminer la fondamentale par son nom naturel, et que c’est seulement après cette détermination qu’elle prendrait le nom d’ut.

Il vrai qu’en affectant toujours les mêmes noms aux mêmes touches de l’instrument et aux mêmes notes de la musique, il semble d’abord qu’on établit un rapport plus direct entre cette note et cette touche, et que l’une excite plus aisément l’idée de l’autre qu’on ne ferait en cherchant toujours une égalité de rapports entre les chiffres des notes et le chiffre fondamental d’un côté, et de l’autre, entre le son fondamental et les touches de l’instrument.

On peut voir que je ne tâche pas d’énerver la force de l’objection  ; oserai-je me flatter à mon tour que les préjugés n’ôteront rien à celle de mes réponses ? (p.190) D’abord je remarquerai que le rapport fixé par les mêmes noms entre les touches de l’instrument et les notes de la musique a bien des exceptions et des difficultés auxquelles on ne fait pas toujours assez d’attention.

Nous avons trois clés dans la musique, et ces trois clés ont huit positions, ainsi suivant ces différentes positions, voilà huit touches différentes pour la même position, et huit positions pour la même touche et pour chaque touche de l’instrument : il est certain que cette multiplication d’idées nuit à leur netteté  ; il y a même bien des symphonistes qui ne les possèdent jamais toutes à un certain point, quoique toutes les huit clés soient d’usage sur plusieurs instruments.

Mais renfermons-nous dans l’examen de ce qui arrive sur une seule clé. On s’imagine que la même note doit toujours exprimer l’idée de la même touche, et cependant cela est très faux : car par des accidents fort communs, causés par les dièses et les bémols, il arrive à toute moment, non seulement que la note si devient la touche ut, que la note mi devient la touche fa et réciproquement, mais encore qu’une note diésée à la clé et diésée par accident monte d’un ton tout entier, qu’un fa devient un sol, un tu un re, et c. et qu’au contraire par un double bémol un mi deviendra un re, un si un la et ainsi des autres. Où en est donc la précision de nos idées. Quoi ! je vois un sol et il faut que je touche un la ! Est-ce là ce rapport si juste, si vanté, auquel on veut sacrifier celui de la modulation ?

Je ne nie pas cependant qu’il n’y ait quelque chose de très ingénieux dans l’invention des accidents ajoutés à la clé pour indiquer, non pas les différents tons, car ils ne sont pas toujours connus par là, mais les différentes altérations qu’ils causent. Ils n’expliquent pas mal la théorie des progressions, c’est dommage qu’ils faussent acheter si cher cet avantage par la peine qu’ils donnent dans la pratique du chant et des instruments. Que me sert, à moi, de savoir qu’un tel demi-ton a changé de place, et que de là on l’a transporté là pour en faire une note sensible, une quatrième ou une sixième note ; si d’ailleurs je ne puis venir à bout de l’exécuter sans me donner la torture, et s’ il faut que je me souvienne exactement de ces cinq dièses ou de ces cinq bémols pour les appliquer à toutes les notes que je trouverai sur les mêmes positions ou à l’octave, et cela précisément dans le temps que l’exécution devient la plus embarrassante par la difficulté par ticulière de l’instrument ? Mais ne nous imaginons pas que les musiciens se donnent cette peine dans la pratique  ; ils suivent une autre route bien plus commode, et il n’y a pas un habile homme parmi eux qui après avoir préludé dans le ton où il doit jouer, ne fasse plus d’attention au degré du ton où il se trouve et dont il connaît la progression, qu’au dièse ou au bémol qui l’affecte.

En général, ce qu’on appelle chanter et exécuter au naturel est, peut-être, ce qu’il y a de plus mal imaginé dans la musique : car si les noms des notes ont quelque utilité réelle, ce ne peut-être que pour exprimer certains rapports, certaines affections déterminées dans les progressions des sons. Or dès que le ton change, les rapports des sons et la progression changeant aussi, la raison dit qu’il faut de même changer les noms des notes en les rapportant par analogie au nouveau ton, sans quoi l’on renverse le sens des noms et l’on ôte aux mots le seul avantage qu’ils puissent avoir, qui est d’exciter d’autres idées avec celles des sons. Le passage du mi au fa ou du si à l’ut, excite naturellement dans l’esprit du musicien l’idée du demi ton. Cependant, si l’on est dans le ton de si ou dans celui de mi, l’intervalle du si à l’ut ou du mi aux fa est toujours d’un ton et jamais d’un demi ton. Donc, au lieu de leur conserver des noms qui trompent l’esprit et qui choquent l’oreille exercée par une différente habitude, il est important de leur en appliquer d’autres dont le sens connu ne soit point contradictoire, et annonce les intervalles qu’ils doivent exprimer. Or tous les rapports des sons du système diatonique se trouvent exprimés dans le majeur tant en montant qu’en descendant dans l’octave comprise entre deux ut suivant l’ordre naturel, et dans le mineur dans l’octave comprise entre deux la suivant le même ordre en descendant seulement, car en montant le mode mineur est assujetti à des affections différentes qui présentent de nouvelles réflexions pour la théorie, lesquelles ne sont pas aujourd’hui de mon sujet, et qui ne font rien au système que je propose.

Je ne disconviens pas qu’à l’égard des instruments ma méthode ne s’écarte beaucoup de l’esprit de la méthode ordinaire : mais comme je ne crois pas la méthode ordinaire extrêmement estimable, et que je crois même d’en démontrer les défauts, il faudrait toujours avant que de me condamner par là, se mettre en état de me convaincre, non pas de la différence, mais du désavantage de la mienne.

Continuons d’en expliquer la mécanique. Je reconnais dans la musique douze sons ou cordes originales, l’un desquels est le C sol ut qui sert de fondement à la gamme naturelle : prendre un des autres sons pour fondamental, c’est lui attribuer toutes les propriétés de l’ut  ; c’est proprement transposer la gamme naturelle plus haut ou plus bas de tant de degrés. Pour déterminer ce son fondamental je me sers du mot correspondant, c’est-à-dire, du sol, du re, du la, etc. et je l’écris à la marge au haut de l’air que je veux noter : alors ce sol ou ce re qu’on peut appeler la clé devient ut et servant de fondement à un nouveau ton et à une nouvelle gamme, toutes les notes du clavier lui deviennent relatives, et ce n’est alors qu’en vertu du rapport qu’elles ont avec ce son fondamental qu’elles peuvent être employées.

C’est là, quoiqu’on en puisse dire, le vrai principe auquel il faut s’attacher dans la composition, dans le prélude, et dans le chant ; et si vous prétendez conserver aux notes leurs noms naturels, il faut nécessairement que vous les considériez tout à la fois sous une double relation, savoir par rapport au C sol ut et à la gamme naturelle, et par rapport au son fondamental particulier, sur lequel vous êtes contraint d’en régler le progrès et les altérations. Il n’y a qu’un ignorant qui joue des dièses et de bémols sans penser au ton dans lequel il est, et alors Dieu sait quelle justesse il peut y avoir dans son jeu !

Pour former donc un élève suivant ma méthode, je parle de l’instrument, car pour le chant la chose est si aisée qu’il serait superflu de s’y arrêter, il faut d’abord lui apprendre à connaître et à toucher par leur nom naturel, c’est-à-dire, sur la clé d’ut toutes les touches de son instrument. Ces premiers noms lui doivent servir de règle pour trouver ensuite les autres fondamentales et toutes les modulations possibles des tons majeurs auxquels seuls il suffit de faire attention, comme je l’expliquerai bientôt.

Je viens ensuite à la clé sol, et après lui avoir fait toucher le sol, je l’avertis que ce sol devenant la fondamental du ton doit alors s’appeler ut, et je lui fait parcourir sur cet ut toute la gamme naturelle en haut et en bas suivant l’étendue de son instrument : comme il y aura quelque différence dans la touche ou dans la disposition des doigts à cause du demi ton transposé, je la lui ferai remarquer. Après l’avoir exercé quelque temps sur ces deux tons, je l’amènerai à la clé re, et lui faisant appeler ut le re naturel, je lui fais recommencer sur cet ut une nouvelle gamme, et parcourant ainsi toutes les fondamentales de quinte en quinte, il se trouvera enfin dans le cas d’abolir préludé en mode majeur sur les douze cordes du système chromatique, et de connaître parfaitement le rapport et les affections différentes de toutes les touches de son instrument sur chacun de ces douze différents tons.

Alors je lui mets de la musique aisée entre les mains. La clé lui montre quelle touche doit prendre la dénomination d’ut, et comme il a appris à trouver le mi et le sol, etc. c’est-à-dire, la tierce majeure et la quinte, etc. sur cette fondamental, un 3 et un 5 sont bientôt pour lui des signes familiers, et si les mouvements lui étaient connus et que l’instrument n’eut pas ses difficultés particulières, il serait dès lors en état d’exécuter à livre ouvert toute sorte de musique sur tous les tons et sur toutes les clés. mais avant que d’en dire davantage sur cet article, il faut achever d’expliquer la partie qui regarde l’expression des sons.

A l’égard du mode mineur j’ai déjà remarqué que la nature ne nous l’avait point enseigné directement. Peut-être vient-il d’une suite de la progression dont j’ai parlé dans l’expérience des tuyaux, où l’on trouve qu’à la quatrième quinte cet ut qui avait servi de fondement à l’opération fait une tierce mineure avec le la qui est alors le son fondamental. Peut-être est-ce aussi de là que naît cette grande correspondance entre le mode majeur ut et le mode mineur de sa sixième note, et réciproquement entre le mode mineur la et le mode majeur de sa médiante.

De plus  ; la progression des sons affectés au mode mineur est précisément la même qui se trouve dans l’octave comprise entre deux la, puisque, suivant Monsieur Rameau, il est essentiel au mode mineur d’avoir sa tierce et sa sixte mineures, et qu’il n’y a que cette octave où, tous les autres sons étant ordonnés comme ils doivent l’être, la tierce et la sixte se trouvent mineures naturellement.

Prenant donc la pour le nom de la tonique des tons mineurs, et l’exprimant par le chiffre 6, je laisserai toujours à sa médiante ut le privilège d’être, non pas tonique, mais fondamentale caractéristique  ; je me conformerai en cela à la nature qui ne nous fait point connaître de fondamentale proprement dite dans les tons mineurs, et je conserverai à la fois l’uniformité dans les noms des notes et dans les chiffres qui les expriment et l’analogie qui se trouve entre les modes majeur et mineur pris sur les deux cordes ut et la.

Mais cet ut qui par la transposition doit toujours être le nom de la tonique dans les tons majeurs, et celui de la médiante ans les tons mineurs, peut, par conséquent, être pris sur chacune des douze cordes du système chromatique, et pour la désigner, il suffira de mettre à la marge le nom de cette corde prise sur le clavier dans l’ordre naturel. On voit par là que si le chant est ans le ton d’ut majeur ou de la mineur, il faudra écrire ut à la marge ; si le chant est dans le ton de re majeur ou de si mineur, il faut écrire re à la marge  ; pour le ton de mi majeur ou d’un dièse mineur, on écrira mi à la marge, et ainsi de suite : c’est-à-dire que la note écrite à la marge, ou la clé désigne précisément la touche du clavier qui doit s’appeler ut, et par conséquent être tonique dans le ton majeur, médiante dans le mineur et fondamentale dans tous les deux  ; sur quoi l’on remarquera que j’ai toujours appelé cet ut fondamentale et non pas tonique, par ce qu’elle ne l’est que dans les tons majeurs, mais qu’elle sert également de fondement à la relation et au nom des notes et même aux différentes octaves dans l’un et l’autre mode : mais à le bien prendre la connaissance de cette clé n’est d’usage que pour les instruments et ceux qui chantent n’ont jamais besoin d’y faire attention.

Il suit de là que la même clé sous le même nom d’ut, désigne, cependant, deux tons différents, savoir le majeur dont elle est tonique et le mineur dont elle est médiante et dont, par conséquent, la tonique est une tierce au-dessous d’elle. Il suit encore que les mêmes noms des notes et les notes affectées de la même manière, du moins en descendant servent également pour l’un et l’autre mode, de sorte que non seulement on n’a pas besoin de faire une étude particulière des modes mineurs : mais que même on serait à la rigueur dispensé de les connaître, les rapports exprimés par les mêmes chiffres n’étant point différents quand la fondamentale est tonique que quand elle est médiante : cependant pour l’évidence du ton et pour la facilité du prélude on écrira la clé tout simplement quand elle sera tonique, et quand elle sera médiante on ajoutera au dessous d’elle une petite ligne horizontale. (Voyez la pl. Ex. 7. et 8.)

Il faut parler à présent des changements de ton : mais comme les altérations accidentelles des sons s’y présentent souvent, et qu’elles ont toujours lieu dans le mode mineur en montant de la dominante à la tonique, je dois auparavant en expliquer les signes.

Le dièse s’exprime par une petite ligne oblique qui croise la note en montant de gauche à droite, sol dièse, par exemple, s’exprime ainsi, 5/. Fa dièse ainsi, 4/. Le bémol s’exprime aussi par une semblable ligne qui croise la note en descendant  ; 7, 3, et ces signes, plus simples que ceux qui sont en usage, servent encore à montrer à l’œil le genre d’altération qu’ils causent.

Pour le béquarre, il n’est devenu nécessaire que par le mauvais choix du dièse et du bémol : parce qu’étant des caractères séparés des notes qu’ils altèrent, s’il s’en trouve plusieurs de suite sous l’un ou l’autre de ces signes, on ne peut jamais distinguer celles qui doivent être affectées de celles qui ne le doivent pas sans se servir du béquarre. Mais comme par mon système le signe de l’altération, outre la simplicité de sa figure a encore l’avantage d’être toujours inhérent à la note altérée, il est clair que toutes celles auxquelles on ne le verra point devront être exécutées au ton naturel qu’elles doivent avoir sur la fondamentale où l’on est. Je retranche donc le béquarre comme inutile, et je le retranche encore comme équivoque, puisqu’il est commun de le trouver employé en deux sens tout opposées : car les uns s’en servent pour ôter l’altération causée parles signes de la clé, et les autres, au contraire, pour remettre la note au ton qu’elle doit avoir conformément à ces mêmes signes.

A l’égard des changements de ton soit pour passer du majeur au mineur, ou d’une tonique à une autre, il pourrait suffire de changer la clé : mais comme il est extrêmement avantageux de ne point rendre la connaissance de cette clé nécessaire à ceux qui chantent, et que, d’ailleurs, il faudrait une certaine habitude pour trouver facilement le rapport d’une clé à l’autre, voici la précaution qu’il y faut ajouter. Il n’est question que d’exprimer la première note de ce changement de manière à représenter ce qu’elle était dans le ton d’où l’on sort, et ce qu’elle est dans celui où l’on entre. Pour cela  ; j’écris d’abord cette première note entre deux doubles lignes perpendiculaires par le chiffre qui la représente dans le ton précédent, ajoutant au-dessus d’elle la clé ou le nom de la fondamentale du ton où l’on va entrer  ; j’écris ensuite cette même note par le chiffre qui l’exprime dans le ton qu’elle commence. De sorte qu’eu égard à la suite du chant, le premier chiffre indique le ton de la note, et le second sert à en trouver le nom.

Vous voyez (pl. Ex. 9.) non seulement que du ton de sol vous passez dans celui d’ut, mais que la note fa du ton précèdent est la même que la note ut qui se trouve la première dans celui où vous entrez.

Dans cet autre exemple, (Voyez Ex. 10.) la première note ut du premier changement serait le mi bémol du mode précédent, et la première note mi du second changement serait l’ut dièse du mode précédent, comparaison très commode pour les voix et même pour les instruments lesquels ont de plus l’avantage du changement de clé. On y peut remarquer aussi que dans les changements de mode, la fondamentale change toujours, quoique la tonique reste la même  ; ce qui dépend des rètes que j’ai expliquées ce-devant.

Il reste dans l’étendue du clavier une difficulté dont il est temps de parler. Il ne suffit pas de connaître le progrès affecté à chaque mode, la fondamentale qui lui est propre, si cette fondamentale est tonique ou médiante, ni enfin de la savoir rapporter à la place qui lui convient dans l’étendue de la gamme naturelle, mais il faut encore savoir à quelle octave, et en un mot à quelle touche précise du clavier elle doit appartenir. (p.196) Le grand clavier ordinaire a cinq octaves d’étendue, et je m’y bornerai pour cette explication, en remarquant seulement qu’on est toujours libre de le prolonger de part et d’autre tout aussi loin qu’on voudra sans rendre la note plus diffuse ni plus incommode.

Supposons donc que je sois à la clé d’ut c’est-à-dire au ton d’ut majeur ou de la mineur qui constitue le clavier naturel. Le clavier se trouve alors disposé de sorte que depuis le premier ut d’en bas jusqu’au dernier ut d’en haut je trouve quatre octaves complètes outre les deux portions qui restent en haut et en bas entre l’ut, et le fa qui termine le clavier de part et d’autre.

J’appelle A, la première octave comprise entre l’ut d’en bas et le suivant vers la droite, c’est-à-dire, tout ce qui est renfermé entre 1 et 7 inclusivement. J’appelle B, l’octave qui commence au second ut en comptant de même vers la droite  ; C la troisième, D la quatrième, etc. jusqu’à E où commence une cinquième octave qu’on pousserait plus haut si l’on voulait. A l’égard de la portion d’en bas qui commence au premier fa et se termine au premier si comme elle est imparfaite ne commençant point par la fondamentale, nous s’appellerons l’octave X  ; et cette lettre X servira dans toute sorte de tons à désigner les notes qui resteront au bas du clavier au-dessous de la première tonique.

Supposons que je veuille noter un air à la clé d’ut, c’est-à-dire, au ton d’ut majeur ou de la mineur  ; j’écris ut au haut de la page à la marge, et je le rends médiante ou tonique suivant que j’y ajoute ou non la petite ligne horizontale.

Sachant ainsi quelle corde doit être la fondamentale du ton, il n’est plus question que de trouver dans laquelle des cinq octaves roule davantage le chant que j’ai à exprimer et d’en écrire la lettre au commencement de la ligne sur laquelle je place mes notes. Les deux espaces au-dessus et au-dessous représenteront les étages contigus, et serviront pour les notes qui peuvent excéder en haut ou en bas l’octave représentée par la lettre que j’ai mise au commencement de la ligne. J’ai déjà remarqué que si le chant se trouvait assez bizarre pour passer cette étendue, on serait toujours libre d’ajouter une ligne en haut ou en bas, ce qui peut quelquefois avoir lieu pour les instruments.

Mais comme les octaves se content toujours d’une fondamentale à l’autre, et que ces fondamentales sont différentes suivant les différents degrés, et sont tantôt plus hautes ou plus basses, suivant que leur fondamentale est éloignée du C sol ut naturel.

Pour représenter clairement cette mécanique, j’ai joint ici (voyez la planche) une table générale de tous les sons du clavier, ordonnés par rapport aux douze cordes du systèmes chromatique prises successivement pour fondamentales.

On y voit d’une manière simple et sensible le progrès de différents sons par rapport au ton où l’on est. On verra aussi par l’explication suivante comment elle facilité la pratique des instruments au point de n’en faire qu’un jeu, non seulement par rapport aux instruments à touches marquées, comme le basson, le hautbois, la flûte, la basse de viole, et le clavecin, mais encore à l’égard du violon, du violoncelle et de toute autre espèce sans exception.

Cette table représente toute l’étendue du clavier combiné sur les douze cordes : le clavier naturel où l’ut conserve son propre nom se trouve ici au sixième rang marqué par une étoile à chaque extrémité, et c’est à ce rang que tous les autres doivent se rapporter comme au terme commun de comparaison. On voit qu’il s’étend depuis le fa d’en bas jusqu’à celui d’en haut à la distance de cinq octaves, qui font ce qu’on appelle le grand clavier.

J’ai déjà dit que l’intervalle compris depuis le premier 1 jusqu’au premier 7 qui le suit vers la droite s’appelle A  ; que l’intervalle compris depuis le second 1 jusqu’à l’autre 7 s’appelle l’octave B  ; l’autre, l’octave C, etc. jusqu’au cinquième 1 où commence l’octave E que je n’ai portée ici que jusqu’au fa. A l’égard des quatre notes qui sont à la gauche du premier ut, j’ai dit encore qu’elles appartiennent à l’octave X, à laquelle je donne ainsi une lettre hors de rang pour exprimer que cette octave n’est pas complète, parce qu’il faudrait pour parvenir jusqu’à l’ut descendre plus bas que le clavier ne le permet.

Mais si je suis dans un autre ton, comme par exemple à la clé de re, alors ce re change de nom et devient ut, c’est pourquoi l’octave A comprise depuis le première tonique jusqu’à sa septième note est d’un degré plus élevée que l’octave correspondante du ton précédent, ce qu’il est aisé de voir par la table, puisque cet ut du troisième rang, c’est-à-dire de la clé de re correspond au re de la clé naturelle d’ut sur lequel il tombe per perpendiculairement, et par la même raison l’octave X y a plus de notes que la même octave de la clé d’ut, parce que les octaves en s’élevant davantage s’éloignent de la plus basse note du clavier.

Voilà pourquoi les octaves montent depuis la clé d’ut jusqu’à la clé de mi, et descendent depuis la même clé d’ut jusqu’à celle de fa : car ce fa qui est la plus basse note du clavier devient alors fondamentale et commence, par conséquent, la première octave A.

Tout ce qui est donc compris entre les deux premières lignes obliques vers la gauche est toujours de l’octave A, mais à différents degrés suivant le ton où l’on est. La même touche, par exemple, sera ut dans le ton majeur de mi, re ans celui de re, mi dans celui d’ut, fa dans celui de si, sol dans celui de la, la dans celui de sol, si dans celui de fa,. C’est toujours la même touche parce que c’est la même colonne, et c’est la même octave, parce que cette colonne est renfermée entre les mêmes lignes obliques. Donnons un exemple de la façon d’exprimer le ton, l’octave et la touche sans équivoque. (Voyez la pl. Exempl. 11.)

Cet exemple est à la clé de re, il faut donc le rapporter au quatrième rang répondant à la même clé, l’octave B marquée sur la ligne montre que l’intervalle supérieur dans lequel commence le chant répond à l’octave supérieure C : ainsi la note 3 marquée d’un a dans la table est justement celle qui répond à la première de cet exemple. Cela suffit pour faire entendre que dans chaque partie on doit mettre sur le commencement de la ligne la lettre correspondante à l’octave dans laquelle le chant de cette partie roule le plus, et que les espaces qui sont au-dessus et au-dessous seront pour les octaves supérieure et inférieure.

Les lignes horizontales servent à séparer de demi-ton en demi-ton les différentes fondamentales dont les noms sont écrits à la droite de la table.

Les lignes perpendiculaires montrent que toutes les notes traversées de la même ligne ne sont toujours qu’une même touche dont le nom naturel, si elle en a un, se trouve au sixième rang et les autres noms dans les autres rangs de la même colonne suivant les différents tons où l’on est, Ces lignes perpendiculaires sont de deux sortes  ; les unes noires qui servent à montrer que les chiffres qu’elles joignent représentent une touche naturelle, et les autres ponctuées qui sont pour les touches blanches ou altérées, de façon qu’en quelque ton que l’on soit on peut connaître sur le champ par le moyen de cette table quelles sont les notes qu’il faut altérer pour exécuter dans ce ton-là.

Les clés que vous voyez au commencement servent à déterminer quelle note doit porter le nom d’ut, et à marquer le ton comme je l’ai déjà dit  ; il y en a cinq qui peuvent être doubles parce que le bémol de la supérieure marqué b, et le dièse de l’inférieure marquée d produisent le même effet*. Il ne sera pas mal cependant de s’en tenir aux dénominations que j’ai choisies, et qui, abstraction faite de toute autre raison, sont du moins préférables parce qu’elles sont les plus usitées.

  • Ce n’est qu’en vertu du tempérament que la même touche peut servir de dièse à l’une et de bémol à l’autre, puisque d’ailleurs, personne n’ignore que la somme de deux demi-tons mineurs ne sauraient faire un ton.

Il est encore aisé par le moyen de cette table de marquer précisément l’étendue de chaque partie tant vocale qu’instrumentale, et la place qu’elle occupera dans ces différentes octaves suivant le ton où l’on sera.

Je suis convaincu qu’en suivant exactement les principes que je viens d’expliquer, il n’est point de chant qu’on ne soit en état de solfier en très peu de temps et de trouver de même sur quelque instrument que ce soit avec toute la facilité possible. Rappelons un peu en détail ce que j’ai dit sur cet article.

Au lieu de commencer d’abord à faire exécuter machinalement des airs à cet écolier  ; au lieu de lui faire toucher tantôt des dièses, tantôt des bémols sans qu’il puisse concevoir pourquoi il le fait, que le premier soin du maître soit de lui faire connaître à fond tous les sons de son instrument par rapport aux différents tons sur lesquels ils peuvent être pratiqués.

Pour cela, après lui avoir appris les noms naturels de toutes les touches de son instrument, il faut lui présenter un autre point de vue et le rappeler à un principe général. Il connaît déjà tous les sons de l’octave suivant l’échelle naturelle, il est question, à présent, de lui en faire faire l’analyse. Supposons-le devant un clavecin. Le clavier est divisé en soixante et une touches : on lui explique que ces touches prises successivement et sans distinction de blanches ni de noires expriment des sons qui de gauche à droite vont en s’élevant de demi-ton en demi-ton. Prenant la touche ut pour fondement de notre opération, nous trouverons toutes les autres de l’échelle naturelle disposées à son égard de la manière suivante.

La deuxième note, re, à un ton d’intervalle vers la droite, c’est-à-dire, qu’il faut laisser une touche intermédiaire entre l’ut et le re pour la division des deux demi-tons.

La troisième, mi, à un autre ton du re et à deux tons de l’ut, de sorte qu’entre le re et le mi il faut encore une touche intermédiaire.

La quatrième, fa, à un demi-ton du mi et à deux tons et demi de l’ut : par conséquent, le fa est la touche qui suit le mi immédiatement sans en laisser aucune entre deux.

La cinquième, sol, à un ton du fa, et à trois tons et demi de l’ut  ; il faut laisser une touche intermédiaire. La sixième, la, à un ton du sol, et à quatre tons et demi de l’ut  ; autre touche intermédiaire.

La septième, si, à un ton du la et à cinq tons et demi de l’ut  ; autre touche intermédiaire.

La huitième, ut d’en haut, à demi ton du si, et à six tons du premier ut dont elle est l’octave par conséquent le si est contigu à l’ut qui le suit, sans touche intermédiaire.

En continuant ainsi tout le long du clavier, on n’y trouvera que la réplique des mêmes intervalles, et l’écolier se les rendra aisément familiers de même que les chiffres qui les expriment et qui marquent leur distance de l’ut fondamental. On lui fera remarquer qu’il y a une touche intermédiaire entre chaque degré de l’octave, excepté entre le mi et le fa, et entre le si et l’ut d’en haut où l’on trouve deux intervalles de demi ton chacun qui ont leur position fixe dans l’échelle.

On observera aussi qu’à la clé d’ut toutes les touches noires sont justement celles qu’il faut prendre et que toutes les blanches sont les intermédiaires qu’il faut laisser. On ne cherchera point à lui faire trouver du mystère dans cette distribution et l’on lui dira seulement que comme le clavier serait trop étendu ou les touches trop petites si elles étaient toutes uniformes, et que d’ailleurs la clé d’ut est la plus usitée dans la musique, on a, pour plus de commodité, rejeté hors des intervalles les touches blanches qui n’y sont que de peu d’usage. On se gardera bien aussi d’affecter un air savant en lui parlant des tons et des demi-tons majeurs et mineurs, des comma, du tempérament  ; tout cela est absolument inutile à la pratique, du moins pour ce temps-là  ; en un mot, pour peu qu’un maître ait d’esprit et qu’il possède son art, il a tant d’occasions de briller en instruisant, qu’il est inexcusable quand sa vanité est à pure perte pour le disciple.

Quand on trouvera que l’écolier possède assez bien son clavier naturel, on commencera alors à le lui faire transposer sur d’autres clés, en choisissant d’abord celles où les sons naturels sont les moins altérés. Prenons, par exemple, la clé de sol.

Ce mot sol, direz-vous à l’écolier, écrit ainsi à la marge signifie qu’il faut transporter au sol et à son octave le nom et toutes les propriétés de l’ut et de la gamme naturelle. Ensuite, après l’avoir exhorté à se rappeler la disposition des tons de cette gamme, vous l’inviterez à l’appliquer dans le même ordre au sol considéré comme fondamentale, c’est-à-dire, comme un ut  ; d’abord, il sera question de trouver le re  ; si l’écolier est bien conduit, il le trouvera de lui-même, et touchera le la naturel qui est précisément par rapport au sol dans la même situation que le re par rapport à l’ut  ; pour trouver le mi, il touchera le si  ; pour trouver le fa il touchera l’ut, et vous lui ferez remarquer qu’effectivement ces deux dernières touches donnent un demi-ton d’intervalle intermédiaire, de même que le mi et le fa dans l’échelle naturelle. En poursuivant de même, il touchera le re pour le sol et le mi pour le la. Jusqu’ici il n’aura trouvé que des touches naturelles pour exprimer dans l’octave sol l’échelle de l’octave ut  ; de sorte que si vous poursuivez, et que vous demandiez le si sans rien ajouter, il est presque immanquable qu’il touchera le fa naturel : alors vous l’arrêterez là, et vous lui demanderez s’il ne se souvient pas qu’entre le la et le si naturel il a trouvé un intervalle d’un ton et une touche intermédiaire : vous lui montrerez en même temps cet intervalle à la clé d’ut, et revenant à celle de sol, vous lui placerez le doigt sur le mi naturel que vous nommerez la en demandant où est le si  ; alors il se corrigera sûrement et touchera le fa dièse  ; peut-être touchera-t-il le sol : mais au lieu de vous impatienter, il faut saisir cette occasion de lui expliquer si bien la règle des tons et demi-tons par rapport à l’octave ut, et sans distinction de touches noires et blanche, qu’il ne soit plus dans le cas de pouvoir s’y tromper.

Alors il faut lui faire parcourir le clavier de haut en bas et de bas en haut, en lui faisant nommer les touches conformément à ce nouveau ton, vous lui ferez aussi observer que la touche blanche qu’on y emploie y devient nécessaire pour constituer le demi-ton qui doit être entre le si et l’ut d’en haut, et qui serait sans cela entre le la et le si, ce qui est contre l’ordre de la gamme. Vous aurez soin, surtout, de lui faire concevoir qu’à cette clé-là, le sol naturel est réellement un ut, le la un re, le si un mi, etc. De sorte que ces noms et la position de leurs touches relatives lui deviennent aussi familières qu’à la clé d’ut, et que tant qu’il est à la clé de sol il n’envisage le clavier que par cette seconde exposition.

Quand on le trouvera suffisamment exercé, on le mettra à la clé de re avec les mêmes précautions, et on l’amènera aisément à y trouver de lui-même le mi et le si sur deux touches blanches : cette troisième clé achèvera de l’éclaircir sur la situation e tous les tons de l’échelle relativement à quelque fondamentale que ce soit, et vraisemblablement il n’aura plus besoin d’explication pour trouver l’ordre des tons sur toutes les autres fondamentales.

Il ne sera donc plus question que de l’habitude, et il dépendra beaucoup du maître de contribuer à la former s’il s’applique à faciliter à l’écolier la pratique de tous les intervalles par des remarques sur la position des doigts qui lui en rendent bientôt la mécanique familière.

Après cela ; de courtes explications sur le mode mineur, sur les altérations qui lui sont propres, et sur celles qui naissent de la modulation dans le cours d’une même pièce, un écolier bien conduit par cette méthode doit savoir à fond son clavier sur tous les tons dans moins de trois mois, donnons lui en six, au bout desquels nous partirons de là pour le mettre à l’exécution, et je soutiens que s’il a d’ailleurs quelque connaissance des mouvements il jouera dès lors à livre ouvert les airs notés par mes caractères, ceux, du moins, qui ne demanderont pas une grande habitude dans le doigter. Qu’il mette six autres moins à se perfectionner la main et l’oreille, soit pour l’harmonie, soit pour la mesure, et voilà dans l’espace d’un an un musicien du premier ordre, pratiquant également toutes les clés, connaissant les modes et tous les tons, toutes les cordes qui leur sont propres, toute la suite de la modulation et transposant toute pièce de musique dans toutes sortes de tons avec la plus parfaite facilité.

C’est ce qui me paraît découler évidemment de la pratique de mon système et que je suis prêt de confirmer son seulement par des preuves de raisonnement, mais par l’expérience, aux yeux de quiconque en voudra voir l’effet.

Au reste, ce que j’ai dit du clavecin s’applique de même à tout autre instrument avec quelques légères différences par rapport aux instruments à manche, qui naissent des différentes altérations propres à chaque ton : comme je n’écris ici que pour les maîtres à qui cela est connu, je n’en dirai que ce qui est absolument nécessaire pour mettre dans son jour une objection qu’on pourrait m’opposer et pour en donner la solution.

C’est un fait d’expérience que les différents tons de la musique ont tous certain caractère qui leur est propre et qui les distingue chacun en particulier. L’A mi la majeur, par exemple, est brillant  ; l’F ut fa est majestueux ; le si bémol majeur est tragique  ; le fa mineur est triste  ; l’ut mineur est tendre  ; et tous les autres tons ont de même par préférence je ne sais quelle aptitude à exciter tel ou tel sentiment dont les habiles maîtres savent bien se prévaloir. Or puisque la modulation est la même dans tous les majeurs, pourquoi un ton majeur exciterait-il une passion, plutôt qu’un autre ton majeur ? Pourquoi le même passage du re au fa produit-il des effets différents quand il est pris sur différentes fondamentale, puisque le rapport demeure le même. Pourquoi cet air joué en A mi la ne rend-il plus cette expressions qu’il avait en G re sol ? Il n’est pas possible d’attribuer cette différence au changement de fondamentale ; puisque, comme je l’ai dit, chacune de ces fondamentales prise séparément n’a rien en elle qui puisse exciter d’autre sentiment que celui du son haut ou bas qu’elle fait entendre  ; ce n’est point proprement par les sons que nous sommes touchés  ; c’est par le rapports qu’ils ont entre eux, et c’est uniquement par le choix de ces rapports charmants qu’une belle composition peut émouvoir le cœur en flattant l’oreille. Or si le rapport d’un ut à un sol ou d’un re à un la est le même dans tous les tons, pourquoi produit-il différents effets ?

Peut-être trouverait-on des musiciens embarrassés d’en expliquer la raison  ; et elle serait, en effet, très inexplicable si l’on admettait à la rigueur cette identité de rapport dans les sons exprimés par les mêmes noms et représentés par les mêmes intervalles sur tous les tons.

mais ces rapports ont entre eux de légères différences suivant les cordes sur lesquelles ils sont pris, et ce sont ces différences si petites en apparence qui causent dans la musique cette variété d’expressions sensible à toute oreille délicate, et sensible à tel point qu’il est peu de musicien qui en écoutant un concert ne connaisse en quel ton l’on exécute actuellement.

Comparons, par exemple, le C sol ut mineur, et le D la re. Voilà deux modes mineurs desquels tous les sons sont exprimés par les mêmes intervalles et par les mêmes noms, chacun relativement à sa tonique : cependant l’affection n’est point la même, et il est incontestable que le C sol ut est plus touchant que le D la re. Pour en trouver la raison il faut entrer dans une recherche assez longue dont voici à peu près le résultat. L’intervalle qui se trouve entre la tonique re et sa seconde note est un peut plus petit que celui qui se trouve entre la tonique du C sol ut et sa seconde note  ; au contraire : le demi-ton qui se trouve entre la seconde note et la médiante du D la re est un peu plus grand que celui qui est entre la seconde note et la médiante du C sol ut  ; de sorte que la tierce mineure restant à peu près égale de part et d’autre, elle est partagée ans le C sol ut en deux intervalles un peu plus inégaux que dans le D la re. Ce qui rend l’intervalle du demi-ton plus petit de la même quantité dont celui du ton est plus grand.

On trouve aussi, par l’accord ordinaire du Clavecin, le demi-ton compris entre le sol naturel et le la bémol un peu plus petit que celui qui est entre le la et le si bémol. Or plus les deux sons qui forment un demi-ton se rapprochent et plus le passage est tendre et touchant, c’est l’expérience qui nous l’apprend, et c’est, je crois, la véritable raison pour laquelle le mode mineur du C sol ut nous attendrit plus que celui du D la re  ; que si, cependant, la diminution vient jusqu’à causer de l’altération à l’harmonie, et jeter de la dureté dans le chant, alors le sentiment se change en tristesse, et c’est le’effet que nous éprouvons dans le F ut fa mineur.

En continuant nos recherches dans ce goût-là, peut-être parviendrions-nous à peu près à trouver par ces différences légères qui subsistent dans les rapports des sons et des intervalles, les raisons des différents sentiments excités par les divers tons de la musique. mais si l’on voulait aussi trouver la cause de ces différences, il faudrait entrer pour cela dans un détail dont mon sujet me dispense, et qu’on trouvera suffisamment expliqué dans les ouvrages de Monsieur Rameau. Je me contenterai de dire ici en général que comme il a fallu pour éviter de multiplier les sons faire servir les mêmes à plusieurs usages, on n’a pu y réussir qu’en les altérant un peu, ce qui fait qu’eu égard à leurs différents rapports, ils perdent quelque chose de la justesse qu’ils devraient avoir. Le mi, par exemple, considéré comme tierce majeure d’ut, n’est point à la rigueur, le même mi qui doit faire la quinte du la  ; la différence est petite, à la vérité, mais enfin elle existe, et pour la faire évanouir il a fallu tempérer un peu cette quinte : par ce moyen on n’a employé que le même son pour ces deux usages : mais delà vient aussi que le ton du re au mi n’est pas de la même espèce que celui de l’ut au re, et ainsi des autres.

On pourrait donc me reprocher que j’anéantis ces différences par mes nouveaux signes, et que, par la même, je détruis cette variété d’expression si avantageuse dans la musique. J’ai bien des choses à répondre à tout cela.

En premier lieu  ; le tempérament est un vrai défaut ; c’est une altération que l’art a causée à l’harmonie faute d’avoir pu mieux faire. Les harmoniques d’une corde ne nous donnent point de quinte tempérée, et la mécanique du tempérament introduit dans la modulation des tons si durs, par exemple, le re et le sol dièses, qu’ils ne sont pas supportables à l’oreille. Ce ne serait donc pas une faute que d’éviter ce défaut, et surtout dans les caractères de la musique, qui, ne participant pas au vice de l’instrument devraient, du moins par leur signification, conserver toute la pureté de l’harmonie.

De plus  ; les altérations causées par les différents tons ne sont point pratiquées par les voix  ; l’on n’entonne point, par exemple, l’intervalle 45 autrement que l’on entonnerait celui-ci 56, quoique cet intervalle ne soit pas tout-à-fait le même, et l’on module en chantant avec la même justesse dans tous les tons, malgré les altérations particulières que l’imperfection des instruments introduit dans ces différents tons, et à laquelle la voix ne se conforme jamais à moins qu’elle n’y soit contrainte par l’unisson des instruments.

La nature nous apprend à moduler sur tous les tons précisément dans toute la justesse des intervalles  ; les voix conduites par elle le pratiquent exactement. Faut-il nous éloigner de ce qu’elle prescrit pour nous assujettir à une pratique défectueuse, et faut-il sacrifier, non pas à l’avantage, mais au vice des instruments l’expression naturelle du plus parfait de tous. C’est ici qu’on doit se rappeler tout ce que j’ai dit ci-devant sur la génération des sons, et c’est par là qu’on se convaincra que l’usage de mes signes n’est qu’une expression très fidèle et très exacte des opérations de la nature.

En second lieu  ; dans les plus considérables instruments, comme l’orgue, le clavecin et la viole, les touches étant fixées, les altérations différentes de chaque ton dépendent uniquement de l’accord, et elles sont également pratiquées par ceux qui en jouent quoiqu’ils n’y pensent point. Il en est de même des flûtes, des hautbois, bassons et autres instruments à tous, les dispositions des doigts sont fixées pour chaque son et le seront de même par mes caractères sans que les écoliers pratiquent moins le tempérament pour n’en pas connaître l’expression.

D’ailleurs, on ne saurait me faire là dessus aucune difficulté qui n’attaque en même temps la musique ordinaire, dans laquelle, bien loin que les petites différences des intervalles de même espèce soient indiquées par quelque marque, les différences spécifiques ne le sont même pas, puisque les tierces ou les sixtes, majeures et mineures, sont exprimées par les mêmes intervalles et les mêmes positions  ; au lieu que dans mon système les différents chiffres employés dans les intervalles de même dénomination font du moins connaître s’ils sont majeurs ou mineurs.

Enfin, pour trancher tout d’un coup toute cette difficulté, c’est au maître et à l’oreille à conduire l’écolier dans la pratique des différents tons et des altérations qui leur sont propres : la musique ordinaire ne donne point des règles pour cette pratique que je ne puisse appliquer à la mienne avec encore plus d’avantage, et les doigts de l’écolier seront bien plus heureusement conduits en lui faisant pratiquer sur son violon les intervalles avec les altérations qui leur sont propres dans chaque ton en avançant ou reculant un peu le doigt, que par cette foule de dièses et de bémols qui faisant de plus petits intervalles entre eux, et ne contribuant point à former l’oreille, troublent l’écolier par des différences qui lui sont longtemps insensibles.

Si la perfection d’un système de musique consistait à y pouvoir exprimer une plus grande quantité de sons, il serait aisé en adaptant celui de M. Sauveur de diviser toute l’étendue d’une seule octave en 3010 décamérides ou intervalles égaux, dont les sons seraient représentés par des notes différemment figurées  ; mais de quoi serviraient tous ces caractères, puisque la diversité des sons qu’ils exprimeraient ne serait non plus à la portée de nos oreilles qu’à celle des organes de notre voix ? Il n’est donc pas moins inutile qu’on apprenne à distinguer l’ut double dièse du re naturel, dès que nous sommes contraints de le pratiquer sur ce même re, et qu’on ne se trouvera jamais dans le cas d’exprimer en note la différence qui doit s’y trouver, parce que ces deux sons ne peuvent être relatifs à la même modulation.

Tenons pour une maxime certaine que tous les sons d’un mode doivent toujours être considérés par le rapport qu’ils ont avec la fondamentale de ce mode-là, qu’ainsi les intervalles correspondants devraient être parfaitement égaux dans tous les tons de même espèce  ; aussi les considère-t-on comme tels dans la composition, et s’ils ne le sont pas à la rigueur dans la pratique, les facteurs épuisent du moins toute leur habileté dans l’accord pour en rendre la différence insensible.

Mais ce n’est pas ici le lieu de m’étendre davantage sur cet article : si de l’aveu de la plus savante Académie de l’Europe mon système a des avantages marquées par dessus la méthode ordinaire pour la musique vocale, il me semble que ces avantages son t bien plus considérables dans la partie instrumentale, du moins, j’exposerai les raisons que j’ai de le croire ainsi  ; c’est à l’expérience à confirmer leur solidité. Les musiciens ne manqueront pas de se récrier, et de dire qu’ils exécutent avec la plus grande facilité par la méthode ordinaire et qu’ils font de leurs instruments tout ce qu’on en peut faire par quelque méthode que ce soit. D’accord  ; je les admire en ce point, et il ne semble pas en effet qu’on puisse pousser l’exécution à un plus haut degré de perfection que celui ou elle est aujourd’hui : mais enfin quand on leur fera voir qu’avec moins de temps et de peine on peut parvenir plus sûrement à cette même perfection, peut-être seront-ils contraints de convenir que les prodiges qu’ils opèrent ne sont pas tellement inséparables des barres, des noires et des croches qu’on n’y puisse arriver par d’autres chemins. Proprement, j’entreprends de leur prouver qu’ils ont encore plus de mérite qu’ils ne pensaient, puisqu’ils suppléent par la force de leurs talents aux défauts de la méthode dont ils se servent.

Si l’on a bien compris la partie de mon système que je viens d’expliquer, on sentira qu’elle donne une méthode générale pour exprimer sans exception tous les sons usités dans la musique, non pas, à la vérité, d’une manière absolue, mais relativement à un son fondamental déterminé, ce qui produit un avantage considérable en vous rendant toujours présent le ton de la pièce et la suite de la modulation. Il me reste maintenant à donner une autre méthode encore plus facile pour pouvoir noter tous ces mêmes sons de la même manière sur un rang horizontal, sans avoir jamais besoin de lignes ni d’intervalles pour exprimer les différentes octaves.

Pour y suppléer donc, je me sers du plus simple de tous les signes, c’est-à-dire, du point  ; et voici comment je le mets en usage. Si je sors de l’octave par laquelle j’ai commencé pour faire une note dans l’étendue de l’octave supérieure et qui commence à l’ut d’en haut, alors je mets un point au-dessus de cette note par laquelle je sors de mon octave, et ce point une fois placé, c’est un avis que non-seulement la note sur laquelle il est, mais encore toutes celles qui la suivront sans aucun signe qui le détruise devront être prises dans l’étendue de cette octave supérieure où je suis entré. Par exemple

Ut c 1 3 5 i 3 5

Le point que vous voyez sur le second ut marque que vous entrez là dans l’octave au-dessus de celle où vous avez commencé, et que par conséquent le 3 et le 5 qui suivent sont aussi de cette même octave supérieure et ne sont point les mêmes que vous aviez entonnés auparavant.

Au contraire  ; si je veux sortir de l’octave où je me trouve pour passer à celle qui est au-dessous, alors je mets le point sous la note par laquelle j’y entre.

Ut d 5 3 1 5 3 1

Ainsi ce premier 5 étant le même que le dernier de l’exemple précédent, par le point que vous voyez ici sous le second 5 vous êtes averti que vous sor tez de l’octave où vous étiez monté pour rentrer dans celle par où vous aviez commencé précédemment.

En un mot : quand le point est sur la note vous passez dans l’octave supérieure, s’il est au-dessous vous passez dans l’inférieure, et quand vous changeriez d’octave à chaque note, ou que vous voudriez monter ou descendre de deux ou trois octaves tout d’un coup ou successivement, la règle est toujours générale et vous n’avez qu’à mettre autant de points au-dessous ou au-dessus que vous avez d’octaves à descendre ou à monter.

Ce n’est pas à dire qu’à chaque point vous montiez ou vous descendiez d’une octave : mais à chaque point vous entrez dans une octave différente, dans un autre étage soit en montant, soit en descendant, par rapport au son fondamental ut lequel ainsi se trouve bien de la même octave en descendant diatoniquement, mais non pas en montant : le point, dans cette façon de noter, équivaut aux lignes et aux intervalles de la précédente  ; tout ce qui est dans la même position appartient au même point, et vous n’avez besoin d’un autre point que lorsque vous passez dans une autre position, c’est-à-dire, dans une autre octave. Sur quoi il faut remarquer que je ne me sers de ce mot d’octave qu’abusivement et pour ne pas multiplier inutilement les termes, parce que proprement l’étendue que je désigne par ce mot n’est remplie que d’un étage de sept notes, l’ut d’en haut n’y étant pas compris.

Voici une suite de notes qu’il sera aisé de solfier par les règles que je viens d’établir. Sol

d 1 7 i 2 3 1 5 4 5 6 7 5 i 7 6 5 4 3 2 4 3 2 4 2 1 7 6 5 3 4 5 5 i.

Et voici (V. Pl. Ex. 12.) le même exemple noté suivant la première méthode.

Dans une longue suite de chant, quoique les points vous conduisent toujours très juste, ils ne vous font pourtant connaître l’octave où vous vous trouvez que relativement à ce qui a précédé  ; c’est pourquoi, afin de savoir précisément l’endroit du clavier ou vous êtes, il faudrait aller en remontant jusqu’à la lettre qui est au commencement de l’air, opération exacte, à la vérité, mais d’ailleurs un peu trop longue. Pour m’en dispenser, je mets au commencement de chaque ligne la lettre de l’octave où se trouve, non pas la première note de cette ligne, mais la dernière de la ligne précédente, et cela afin que la règle des points n’ait pas d’exception.

Fa d 1 7 i 2 3 4 5 6 7 i 5 2 5 3 1 4 3 2 1 7 6 5 5 5 4 6 4 e 4 2 7 6 4 5 1.

L’e que j’ai mis au commencement de la seconde ligne marque que le fa qui finit la première est de la cinquième octave, de laquelle je sors pour rentrer dans la quatrième d par le point que vous voyez au-dessous du si de cette seconde lig ne.

Rien n’est plus aisé que de trouver cette lettre correspondante à la dernière note d’une ligne, et en voici la méthode.

Comptez tous les points qui sont au-dessus des notes de cette ligne : comptez aussi ceux qui sont au-dessous, s’ils sont égaux en nombre avec les premiers c’est une preuve que la dernière note de la ligne est dans la même octave que la première et c’est le cas du premier exemple de la page précédente, où après avoir trouvé trois points dessus et autant dessous, vous concluez qu’ils se détruisent les uns les autres, et que par conséquent la dernière note fa de la ligne est de la même octave d que la première note ut de la même ligne, ce qui est toujours vrai de quelque manière que les points soient rangés pourvu qu’il y en ait autant dessus que dessous.

S’ils ne sont pas égaux en nombre, prenez leur différence : comptez depuis la lettre qui est au commencement de la ligne et reculez d’autant de lettres vers l’a si l’excès est au-dessous, ou s’il est au-dessus, avancez au contraire d’autant de lettres dans l’alphabet que cette différence contient d’unités, et vous aurez exactement la lettre correspondante à la dernière note.

Ut c 6 3 6 7 i 2 1 7 6 i 5 i 2 3 4 3 2 1 3 6 5/ 6 7 3 i c 2 7 i 6 7 5/ 6 i 4 3 2 1 5/ 6 2 1 7 6 3 3 4 4/ 5 5/ 6 7 i d 2 7 5/ 6.

Dans la première ligne de cet exemple qui commence à l’étage c vous avez deux point su-dessous et quatre au-dessus, par conséquent d’eux d’excès pour lesquels il faut ajouter à la lettre c autant de lettres suivant l’ordre de l’alphabet, et vous aurez la lettre e correspondant à la dernière note de la même ligne.

Dans la seconde ligne vous avez au contraire un point d’excès au-dessous, c’est-à-dire qu’il faut depuis la lettre e qui est au commencement de la ligne reculer d’une lettre vers l’a et vous aurez d pour la lettre correspondante à la dernière note de la seconde ligne.

Il faut de même observer de mettre la lettre de l’octave après chaque première et dernière note des reprises et des rondeaux, afin qu’en partant de là on sache toujours sûrement si l’on doit monter ou descendre pour reprendre ou pour recommencer. Tout cela s’éclaircira mieux par l’exemple suivant dans lequel cette marque X est un signe de reprise.

Mi c 3 4 5 7 i 2 3 4 3 2 1 7 6 2 5 b X 5 c 5 5 b 7 6 4 4 6 2 7 5 i 2 5 7 i c.

La lettre b que vous voyez après la dernière note de la première partie vous apprend qu’il faut monter d’une sixte pour revenir au mi du commencement puisqu’il est de l’octave supérieure c, et la lettre c que vous voyez également après la première et la dernière note de la seconde partie v ous apprend qu’elles sont toutes deux de la même octave, et qu’il faut par conséquent monter d’une quinte pour revenir de la finale à la reprise.

Ces observations sont fort simples et fort aisées à retenir. Il faut avouer cependant que la méthode des points a quelques avantages de moins que celle de la position d’étage en étage que j’ai enseignée la première et qui n’a jamais besoin de toutes ces différences de lettres : l’une et l’autre ont pourtant leur commodité, et comme elles s’apprennent par les mêmes règles et qu’on peut les savoir toutes deux ensemble avec la même facilité qu’on a pour en apprendre une séparément, on les pratiquera chacune dans les occasions où elle paraîtra plus convenable. Par exemple, rien ne sera si commode que la méthode des points pour ajouter l’air à des paroles déjà écrites, pour noter des petits airs, des morceaux détachés, et ceux qu’on veut envoyer en province et en général pour la musique vocale. D’un autre côté la méthode de position servira pour les partitions et les grandes pièces de musique, pour la musique instrumentale, et surtout pour commencer les écoliers, parce que la mécanique en est encore plus sensible que de l’autre manière, et qu’en partant de celle-ci déjà connue l’autre se conçoit du premier instant. Les compositeurs s’en serviront aussi par préférence à cause de la distinction oculaire des différentes octaves. Ils sentiront en la pratiquant toute l’étendue de ses avantages que j’ose dire tels pour l’évidence de l’harmonie que quand ma méthode n’aurait nul cours dans la pratique, il n’est point de compositeur qui ne dût l’employer pour son usage particulier et pour l’instruction de ses élèves.

Voilà ce que j’avais à dire sur la première partie de mon système qui regarde l’expression des sons  ; passions à la seconde qui traite de leurs durées.

L’article dont je viens de parler n’est pas, à beaucoup près aussi difficile que celui-ci, du moins dans la pratique qui n’admet qu’un certain nombre de sons dont les rapports sont fixés, et à peu près les mêmes dans tous les tons au lieu que les différences qu’on peut introduire dans leurs durées peuvent varier presque à l’infini.

Il y a beaucoup d’apparence que l’établissement de la quantité dans la musique a d’abord été relatif à celle du langage, c’est-à-dire qu’on faisait passer plus vite les sons par lesquels on exprimait les syllabes brèves et durer un peu plus longtemps ceux qu’on adaptait aux longues. On poussa bientôt les choses plus loin et l’on établit à l’imitation de la poésie une certaine régularité dans la durée des sons par laquelle on les assujettissait à des retours uniformes qu’on s’avisa de mesurer par des mouvements égaux de la main ou du pied. et d’où, à cause de cela ils prirent le nom de mesures. L’analogie est visible à cet égard entre la musique et la poésie. Les vers sont relatifs aux mesures, les pieds aux temps, et les syllabes aux notes. Ce n’est pas assurément donner dans des absurdités que de trouver des rapports aussi naturels, pourvu qu’on n’aille pas, comme le P. Souhaitti, appliquer à l’une les singes de l’autre, et à cause de ce qu’elles ont de semblables, confondre ce qu’elles ont de différent.

Ce n’est pas ici le lieu d’examiner en physicien d’où naît cette égalité merveilleuse que nous éprouvons dans nos mouvements quand nous battons la mesure  ; pas un temps qui passe l’autre  ; pas la moindre différence dans leur durée successive sans que nous ayons d’autre règle que notre oreille pour la déterminer : il y a lieu de conjecturer qu’un effet aussi singulier part du même principe qui nous fait entonner naturellement toutes les consonances. Quoiqu’il en soit, il est clair que nous avons un sentiment sûr pour juger du rapport des mouvements, tout comme de celui des sons, et des organes toujours prêts à exprimer les uns et les autres selon les mêmes rapports et il me suffit, pour ce que j’ai à dire, de remarquer le fait sans en rechercher la cause.

Les musiciens font de grandes distinctions dans ces mouvements, non seulement quant aux divers degrés de vitesse qu’ils peuvent avoir, mais aussi quant au genre même de la mesure, et tout cela n’est qu’une suite du mauvais principe par lequel ils ont fixé les différentes durées des sons : car pour trouver le rapport des uns aux autres, il a fallu établir un terme de comparaison, et il leur a plu de choisir pour ce terme une certaine quantité de durée qu’ils ont déterminées par une figure ronde  ; ils ont ensuite imaginé des notes de plusieurs autres figures dont la valeur est fixée par rapport à cette ronde en proportion sous-double. Cette division serait assez supportable, quoiqu’il s’en faille de beaucoup que’elle n’ait l’universalité nécessaire, si le terme de comparaison, c’est-à-dire, si la durée de la ronde était quelque chose d’un peu moins vague  ; mais la ronde va tantôt plus vite, tantôt plus lentement suivant le mouvement de la mesure où l’on l’emploie, et l’on ne doit pas se flatter de donner quelque chose de plus précis en disant qu’une ronde est toujours l’expression de la durée d’une mesure à quatre, puisqu’outre que la durée même de cette mesure n’a rien de déterminé, on voit communément en Italie des mesures à quatre et à deux contenir deux et quelque fois quatre rondes.

C’est pourtant ce qu’on suppose dans les chiffres des mesures doubles  ; le chiffre inférieur marque le nombre de notes d’une certaine valeur contenues dans une mesure à quatre temps, et le chiffre supérieur marque combien il faut de ces mêmes notes pour remplir une mesure de l’air que l’on va noter : mais pourquoi ce rapport de tant de différentes mesures à celle de quatre temps qui leur est si peu semblable, ou pourquoi ce rapport de tant de différentes notes à une note ronde dont la durée est si peu déterminée ?

On dirait que les inventeurs de la musique ont pris à tâche de faire tout le contraire de ce qu’il fallait : d’un côté, ils ont négligé la distinction du son fondamental indiqué par la nature et si nécessaire pour servir de terme commun au rapport de tous les autres, et de l’autre, ils ont voulu établir une durée absolue et fondamentale, sans pouvoir en déterminer la valeur.

Faut-il s’étonner si l’erreur du principe a tant causé de défauts dans les conséquences  ; défauts essentiels à la pratique et tout propres à retarder longtemps les progrès des écoliers.

Les musiciens reconnaissent au moins quatorze mesures différentes dont voici les signes.

2, 3, C, 3/2, 2/4, 3/4, 6/4, 9/4, 12/4, 3/8, 6/8, 9/8, 12/8, 3/16, 6/16

Or si ces signes sont institués pour déterminer autant de mouvements différents en espèce, il y en a beaucoup trop, et s’ils le sont, outre cela, pour exprimer les différents degrés de vitesse de ces mouvements, il n’y en a pas assez. D’ailleurs, pourquoi se tourmenter si fort pour établir des signes qui ne servent à rien, puique’indépendamment du genre de la mesure, on est presque toujours contraint d’ajouter un mot au commencement de l’air, qui détermine l’espèce et le degré du mouvement.

Cependant, on ne saurait contester que la diversité de ces mesures ne brouille les commençants pendant un temps infini, et que tout cela ne naisse de la fantaisie qu’on a de les vouloir rapporter à la mesure à quatre temps, ou d’en vouloir rapporter les notes à la valeur de la ronde.

Donner aux mouvements et aux notes des rapports entièrement étrangers à la mesure où l’on les emploie, c’est proprement leur donner des valeurs absolues en conservant l’embarras des relations  ; aussi voit-on suivre de là des équivoques terribles qui sont autant de pièges à la précision de la musique et au goût du musicien. En effet, n’est-il pas évident qu’en déterminant la durée des rondes, blanches, noires, croches etc. non par la qualité de la mesure où elles se rencontrent, mais par celle e la note même, vous trouvez à tout moment la relation en opposition avec le sens propre. De là vient, par exemple, qu’une blanche dans une certaine mesure passera beaucoup plus vite qu’une noire dans une autre, laquelle noire ne vaut cependant que la moitié de cette blanche, et de là vient encore que les musiciens de province trompés par ces faux rapports donne souvent aux airs des mouvements tout différents de ce qu’ils doivent être, en s’attachant scrupuleusement à cette fausse relation, tandis qu’il faudra quelquefois passer une mesure à trois temps simples plus vite qu’une autre à trois huit, ce qui dépend du caprice des compositeurs, et dont les opéra présentent des exemples à chaque instant.

Il y aurait sur ce point bien d’autres remarques à faire auxquelles je ne m’arrêterai pas. Quand on a imaginé, par exemple, la division sous-double des notes telle qu’elle est établie, apparemment qu’on n’a pas prévu tous les cas, ou bien l’on n’a pu les embrasser tous dans une règle générale  ; ainsi, quand il est question de faire la division d’une note ou d’un temps en trois parties égales dans une mesure à deux, à trois, ou à quatre, il faut nécessairement que le musicien le devine, ou bien qu’on l’en avertisse par un signe étranger qui fait exception à la règle.

C’est en examinant les progrès de la musique que nous pourrons trouver le remède à ces défauts. Il y a deux cents ans que cet art était encore extrêmement grossier. Les rondes et les blanches étaient presque les seules notes qui y fussent employées, et l’on ne regardait une croche qu’avec frayeur. Une musique aussi simple n’amenait pas de grandes difficultés dans la pratique, et cela faisait qu’on ne prenait pas non plus grand soin pour lui donner de la précision dans les signes ; on négligeait la séparation des mesures, et l’on se contentait de les exprimer par la figure des notes. A mesure que l’art se perfectionna et que les difficultés augmentèrent, on s’aperçut de l’embarras qu’il y avait, dans une grande diversité de notes, de faire la distinction des mesures, et l’on commença à les séparer par des lignes perpendiculaires  ; on se mit ensuite à lier les croche pour faciliter les temps, et l’on s’en trouva si bien, depuis lors, les caractères de la musique sont toujours restés à peu près dans le même état.

Une partie des inconvénients subsiste pourtant encore, la distinction des temps n’est pas toujours trop bien observée dans la musique instrumentale, et n’a point lieu du tout dans le vocal : il arrive de là qu’au milieu d’une grande mesure l’écolier ne sait où il en est, surtout lorsqu’il trouve une quantité de croches et de doubles-croches détachées, dont il faut qu’il fasse lui-même la distribution.

Une réflexion toute simple sur l’usage des lignes perpendiculaires pour la séparation des mesures, nous fournira un moyen assuré d’anéantir ces inconvénients. Toutes les notes qui sont renfermées entre deux de ces lignes dont je viens de parler, font justement la valeur d’une mesure : qu’elles soient en grande ou petite quantité, cela n’intéresse en rien la durée de cette mesure qui est toujours la même ; seulement se divise-t-elle en parties égales ou inégales, selon la valeur et le nombre des notes qu’elle renferme : mais enfin sans connaître précisément le nombre de ces notes ni la valeur de chacune d’elles, on sait certainement qu’elles forment toutes ensemble une durée égale à celle de la mesure où elles se trouvent.

Séparons les temps par des virgules comme nous séparons les mesures par des lignes, et raisonnons sur chacun de ces temps de la même manière que nous raisonnons sur chaque mesure : nous aurons un principe universel pour la durée et la quantité des notes, qui nous dispensera d’inventer de nouveaux signes pour la déterminer, et qui nous mettra à portée de diminuer de beaucoup le nombre des différentes mesures usitées dans la musique, sans rien ôter à la variété des mouvements.

Quand une note seule est renfermée entre les deux lignes d’une mesure, c’est un signe que cette note remplit tous les temps de cette mesure et doit durer autant qu’elle : dans ce cas, la séparation des temps serait inutile, on n’a qu’à soutenir le même son pendant toute la mesure. Quand la mesure est divisée en autant de notes égales qu’elle contient de temps, on pourrait encore se dispenser de les séparer, chaque note marque un temps, et chaque temps est rempli par une note  ; mais dans le cas que la mesure soit chargée de notes d’inégales valeurs, alors il faut nécessairement pratiquer la séparation des temps par des virgules, et nous la pratiquerons même dans le cas précédent, pour conserver dans nos signes la plus parfaite uniformité.

Chaque temps compris entre eux virgules, ou entre une virgule et une ligne perpendiculaire, renferme une note ou plusieurs. S’il ne contient qu’une note, on conçoit qu’elle remplit tout ce temps-là, rien n’est si simple : s’il en renferme plusieurs, la chose n’est pas plus difficile  ; divisez ce temps en autant de par ties égales qu’il comprend de notes : appliquez chacune de ces parties à chacune de ces notes, et passez-les de sorte que tous les temps soient égaux.

EXEMPLE DU PREMIER CAS. (…)

EXEMPLE DU SECOND. (…)

EXEMPLE DE TOUS LES DEUX. (…)

On voit dans les exemples précédents que je conserve les cadences et des liaisons comme dans la musique ordinaire, et que pour distinguer le chiffre qui marquer la mesure d’avec ceux des notes, j’ai soin de le faire plus grand et de l’en séparer par une double ligne perpendiculaire.

Avant que d’entrer dans un plus grand détail sur cette méthode, remarquons d’abord combien elle simplifie la pratique de la mesure en anéantissant tout d’un coup toutes les mesures doubles : car, comme la division des notes est prise uniquement dans la valeur des temps et de la mesure où elles se trouvent, il est évident que ces notes n’ont plus besoin d’être comparées à aucune valeur extérieure pour fixer la leur  ; ainsi la mesure étant uniquement déterminée par le nombre de ses temps, on la peut très bien réduire à deux espèces  ; savoir, mesure à deux, et mesure à trois. A l’égard de la mesure à quatre, tout le monde convient qu’elle n’est que l’assemblage de deux mesure à deux temps : elle est traitée comme telle ans la composition, et l’on peut compter que ceux qui prétendraient lui trouver quelque propriété particulière, s’en rapporteraient bien plus à leurs yeux qu’à leurs oreilles.

Que le nombre des temps d’une mesure naturelle, sensible et agréable à l’oreille, soit borné à trois, c’est un fait d’expérience que toutes les spéculations du monde ne détruisent pas, on aurait beau chercher de subtiles analogies entre les temps de la mesure et les harmoniques d’un son, on trouverait aussitôt une sixième consonance dans l’harmonie, qu’un mouvement à cinq temps dans la mesure, et quelle qu’en puisse être la raison, il est incontestable que le plaisir de l’oreille et même sa sensibilité à la mesure ne s’étend pas plus loin.

Tenons nous en donc à ces deux genres de mesures, à deux et à trois temps : chacun des temps de l’une et de l’autre peuvent de même être partagés en deux ou en (220)trois parties égales, et quelquefois en quatre, six, huit, etc. par des subdivisions de celles-ci, mais jamais par d’autres nombres qui ne seraient pas multiples de deux ou de trois.

Or qu’une mesure soit à deux ou à trois temps, et que la division de chacun de ses temps soit en deux ou en trois parties égales, ma méthode est toujours générale, et exprime tout avec la même facilité. On l’a déjà pu voir par le dernier exemple précédent et l’on le verra encore par celui-ci, dans lequel chaque temps d’une mesure à deux, partagé en trois parties égales exprime le mouvement de six huit dans la musique ordinaire.

Les notes dont deux égales rempliront un temps s’appelleront des demi, celles dont il en faudra trois des tiers, celles dont il en faudra quatre des quarts etc.

Mais lorsqu’un temps se trouve partagé de sorte que toutes les notes n’y sont pas d’égale valeur : pour représenter, par exemple, dans un seul temps une noire et deux croches, je considère ce temps comme divisé en deux parties égales dont la noire fait la première et les deux croches ensemble la seconde  ; je les lie donc par une ligne droite que je place au-dessus ou au-dessous d’elles, et cette ligne marque que tout ce qu’elle embrasse ne représente qu’une seule note laquelle doit être subdivisée ensuite en deux parties égales ou en trois ou en quatre suivant le nombre des chiffres qu’elle couvre.

EXEMPLE

La virgule qui se trouve avant la première note dans les deux exemples précédents, désigne la fin du premier temps et marque que le chant commence par le second.

Quand il se trouve dans un même temps des subdivisions d’inégalités, on peut alors se servir d’une seconde liaison : par exemple, pour exprimer un temps composé d’une noire, d’une croche, et de deux doubles croches on s’y prendrait ainsi.

Vous voyez là que le second temps de la première mesure contient deux parties égales, équivalentes à deux noires, savoir le 5 pour l’une, et pour l’autre la somme des trois notes 1 2 1 qui sont sous la grande liaison  ; ces trois notes sont subdivisées en deux autres parties égales, équivalentes à deux croches dont l’une est le premier 1, et l’autre les deux notes 2 et 1 jointes par la seconde liaison lesquelles font ainsi chacune le quart de la valeur comprise sous la grande liaison et le huitième du temps entier.

En général  ; pour exprimer régulièrement la valeur des notes, il faut s’attacher à la division de chaque temps par parties égales, ce qu’on peut toujours faire par la méthode que je viens d’enseigner en y ajoutant l’usage du point dont je pa rlerai tout à l’heure, sans qu’il soit possible d’être arrêté par aucune exception. Il ne sera même jamais nécessaire, quelque bizarre que puisse être une musique de mettre plus de deux liaisons sur aucune de ses notes ni d’en accompagner aucune de plus de deux points, à moins qu’on ne voulût imaginer dans de grandes inégalités de valeurs des quintuples et des sextuples croches dont la rapidité comparée n’est nullement à la portée des voix ni des instruments, et dont à peine trouverait-on d’exemple dans la plus grande débauche de cerveau de nos compositeurs.

A l’égard des tenues et des syncopes, je puis comme dans la musique ordinaire les exprimer avec des notes liées ensemble par une ligne courbe que nous appellerons liaison de tenue ou chapeau, pour la distinguer de la liaison de valeur dont je viens de parler et qui se marque par une ligne droite. Je puis aussi employer le point au même usage en lui donnant un sens plus universel et bien plus commode que dans la musique ordinaire. Car au lieu de lui faire valoir toujours la moitié de la note qui le précède, ce qui ne fait qu’un cas particulier, je lui donne de même qu’aux notes une valeur déterminée uniquement par la place qu’il occupe, c’est-à-dire, que si le point remplit seul un temps ou une mesure, le son qui a précédé doit être aussi soutenu pendant tout ce temps ou toute cette mesure, et si le point se trouve dans un temps avec d’autres notes, il faut nombre aussi bien qu’elles et doit être compté pour un tiers ou pour un quart suivant la quantité de notes que renferme ce temps-là en y comprenant le point : en une mot, le point vaut autant, ou plus, ou moins, que la note qui l’a précédé et dont il marque la tenue, suivant la place qu’il occupe dans le temps où il est employé.

Au reste  ; il n’est pas à craindre, comme on le voit par cet exemple, que ces points se confondent jamais avec ceux qui servent à changer d’octaves, ils en sont trop bien distinguées par leur position pour avoir besoin de l’être par leur figure. C’est pourquoi j’ai négligé de le faire, évitant avec soin de me servir de signes extraordinaires qui distrairaient l’attention sans exprimer rien de plus que la simplicité des miens.

A l’égard du degré de mouvement, s’il n’est pas déterminé par les caractères de ma méthode, il est aisé d’y suppléer par un mot mis au commencement de l’air, et l’on peut d’autant moins tirer de là un argument contre mon système que la musique ordinaire a besoin du même secours  ; vous avez, par exemple, dans la mesure à trois temps simples cinq ou six mouvements très différents les unes des autres, et tous exprimés par une noire à chaque temps  ; ce n’est donc pas la qualité des notes qu’on emploie qui sert à déterminer le mouve ment, et s’il se trouve des maîtres négligent qui s’en fient sur ce sujet au caractère de leur musique et au goût de ceux qui la liront, leur confiance se trouve si souvent punie par les mauvais mouvements qu’on donne à leurs airs, qu’ils doivent assez sentir combien il est nécessaire d’avoir à cet égard des indications plus précises que la qualité des notes.

L’imperfection grossière de la musique sur l’article dont nous parlons serait sensible pour quiconque aurait des yeux : mais les musiciens ne la voient point, et j’ose prédire hardiment qu’ils ne verront jamais rien de tout ce qui pourrait tendre à corriger les défauts de leurs art. Elle n’avait pas échappé à M. Sauveur, et il n’est pas nécessaire de méditer sur la musique autant qu’il l’avait fait pour sentir combien il serait important de ne pas laisser aux mouvements des différentes mesures une expression si vague, et de n’en pas abandonner la détermination à des goûts souvent si mauvais.

Le système singulier qu’il avait proposé, et en général tout ce qu’il a donné sur l’acoustique, quoiqu’assez chimérique selon ses vues, ne laissait pas de renfermer d’excellentes choses qu’on aurait bien su mettre à profit dans tout autre art. Rien n’aurait été plus avantageux, par exemple, que l’usage de son echomètre général pour déterminer précisément la durée des mesures et des temps, et cela, par la pratique du monde la plus aisée, il n’aurait été question que de fixer sur une mesure connue la longueur du pendule simple qui aurait fait un tel nombre juste de vibrations pendant un temps, ou une mesure d’un mouvement de telle espèce. Un seul chiffre mis au commencement d’un air aurait exprimé tout cela et par son moyen on aurait pu déterminer le mouvement avec autant de précision que l’auteur même. Le pendule n’aurait été nécessaire que pour prendre une fois l’idée de chaque mouvement : après quoi, cette idée étant réveillée dans d’autres airs par les mêmes chiffres qui l’auraient fait naître, et par les airs mêmes qu’on y aurait déjà chantés, une habitude assurée, acquise par une pratique aussi exacte aurait bientôt tenu lieu de règle, et rendu le pendule inutile.

Mais ces avantages mêmes qui devenaient de vrais inconvénients par la facilité qu’ils auraient donnée aux commençants de se passer de maîtres et de se former le goût par eux-mêmes, ont, peut-être, été cause que le projet n’a point été admis dans la pratique  ; il semble que si l’on proposait de rendre l’art plus difficile, il y aurait des raisons pour être plutôt écouté.

Quoiqu’il en soit, en attendant que l’approbation du public me mettre en droit de m’étendre davantage sur les moyens qu’il y aurait à prendre pour faciliter l’intelligence des mouvements de même que celle de bien d’autres parties de la musique sur lesquelles j’ai des remarques à proposer, je puis me borner ici aux expressions de la méthode ordinaire, qui, par des mots mis au commencement de chaque air en indiquent assez bien le mouvement. Ces mots, bien choisis, doivent je crois dédommager et au delà de ces doubles chiffres et de toutes ces différentes mesures qui malgré leur nombre laissent le mouvement indéterminé et n’apprennent rien aux écoliers  ; ainsi, en adoptant seulement le 2 et le 3 pour les signes de la mesure, j’ôte la confusion des caractères sans altérer la variété de l’expression.

Revenons à notre projet. On sait combine de figures étranges sont employées dans la musique pour exprimer les silences  ; il y en a autant que de différentes valeurs, et par conséquent, autant que de figures différentes dans les notes relatives : on est même contraint de les employer à proportion en plus grande quantité, parce qu’il n’a pas plu à leurs inventeurs d’admettre le point après les silences de la même manière et au même usage qu’après les notes et qu’ils ont mieux aimé multiplier des soupirs, des demi-soupirs, des quarts de soupir à la file les uns des autres que d’établir entre des signes relatifs une analogie si naturelle.

Mais comme dans ma méthode il n’est point nécessaire de donner des figures particulières aux notes pour en déterminer la valeur, on y est aussi dispensé de la même précaution pour les silences et un seul signe suffit pour les exprimer tous sans confusion et sans équivoque. Il paraît assez indifférent dans cette unité de figure de choisir tel caractère qu’on voudra pour l’employer à cet usage. Le zéro a cependant quelque chose de si convenable à cet effet, tant par l’idée de privation qu’il porte communément avec lui, que par sa qualité de chiffre, et sur tout par la simplicité de sa figure, que j’ai cru devoir le préférer. Je l’emploierai donc de la même manière et dans le même sens par rapport à la valeur, que les notes ordinaires, c’est-à-dire, que les chiffres 1, 2, 3, etc. et les règles que j’ai établies à l’égard des notes étant toutes applicables à leurs silences relatifs, il s’en suit que le zéro par sa seule position et par les points qui le peuvent suivre lesquels alors exprimeront des silences, suffit seul pour remplacer toutes les pauses, soupirs, demi-soupirs, et autres signes bizarres et superflus qui remplissent la musique ordinaire.

EXEMPLE TIRÉ DES LE¨ÇON DE M. MONTECLAIR

Les chiffres 4 et 2 placés ici sur des zéro marquent le nombre de mesures que l’on doit passer en silence.

Tels sont les principes généraux d’où découlent les règles pour toutes sortes d’expressions imaginables sans qu’il puisse naître à cet égard aucune difficulté qui n’ait été prévue, et qui ne soit résolue en conséquence de quelqu’un de ces principes.

Je finirai par quelques observations qui naissent du parallèle des deux systèmes.

Les notes de la musique ordinaire sont elles plus ou moins avantageuses que les chiffres qu’on leur substitue ? C’est proprement le fond de la question.

Il est clair, d’abord, que les notes varient plus par leur seule position que mes chiffres par leur figure et par leur position tout ensemble  ; qu’outre cela, il y en a de sept figures différentes, autant que j’admets de chiffre pour les exprimer  ; que les notes n’ont de signification et de force que par le secours de la clé  ; et que les variations des clés donnent un grand nombre de sens tout différents aux notes posées de la même manière.

Il n’est pas moins évident que les rapports des notes et les intervalles de l’une à l’autre n’on rien dans leur expression par la musique ordinaire qui en indique le genre, et qu’ils sont exprimés par des positions difficiles à retenir et dont la connaissance dépend uniquement de l’habitude et d’une très longue habitude : car quelle prise peut avoir l’esprit pour saisir juste et du premier coup d’œil un intervalle de sixte, de neuvième, de dixième dans la musique ordinaire, à moins que la coutume n’ait familiarisé les yeux à lire tout d’un coup ces intervalles ?

N’est-ce pas un défaut terrible dans la musique de ne pouvoir rien conserver, dans l’expression des octaves, de l’analogie qu’elles ont entre elles ? Les octaves ne sont que les répliques des mêmes sons, cependant ces répliques se présentent sous des expressions absolument différentes de celles de leur premier terme. Tout est brouillé dans la position à la distance d’une seule octave  ; la réplique d’une note qui était sur une ligne se trouve dans un espace, celle qui était dans l’espace a sa réplique sur une ligne  ; montez-vous ou descendez-vous de deux octaves ? Autre différence toute contraire à la première : alors les répliques sont placées sur des lignes ou dans des espaces comme leurs premiers termes : ainsi la difficulté augmente en changeant d’objet, et l’on n’est jamais assuré de connaître au juste l’espèce d’un intervalle traversé par un si grand nombre de lignes  ; de sorte qu’il faut se faire d’octave en octave des règles particulières qui ne finissent point, et qui font de l’étude des intervalles, le terme effrayant et très rarement atteint de la science du musicien.

De là cet autre défaut presque aussi nuisible, de ne pouvoir distinguer l’intervalle simple dans l’intervalle redoublé `vous voyez une note posée entre la première et la seconde ligne, et une autre note posée sur la septième ligne, pour connaître leur intervalle vous décomptez de l’une à l’autre, et après une longue et ennuyeuse opération vous trouvez une deuxième `or comme on voit aisément qu’elle passe l’octave, il faut recommencer une seconde recherche pour s’assurer enfin que c’est une quinte redoublée, encore pour déterminer l’espèce de cette quinte faut-il bien faire attention aux signes de la clé, qui peuvent la rendre juste ou fausse suivant leur nombre et leur position.

Je sais que les musiciens se font communément des règles plus abrégées pour se faciliter l’habitude et la connaissance des intervalles : mais ces règles mêmes prouvent le défaut des signes en ce qu’il faut toujours compter les lignes des yeux et en ce qu’on est contraint de fixer son imagination d’octave en octave pour sauter de là à l’intervalle suivant, ce qui s’appelle suppléer de génie au vice de l’expression.

D’ailleurs, quand à force de pratique on viendrait à bout de lire aisément tous les genres d’intervalles  ; de quoi vous servira cette connaissance tant que vous n’aurez point de règle assurée pour en distinguer l’espèce ? Les tierces et les sixtes majeures et mineures, les quintes et les quartes diminuées et superflues, et en général tous les intervalles de même nom, justes ou altérés sont exprimés par la même position indépendamment de leur qualité, ce qui fait que suivant les différentes situations des deux demi-tons de l’octave qui changent de place à chaque ton et à chaque clé, les intervalles changent aussi de qualité sans changer de nom ni de position, de là l’incertitude sur l’intonation et l’inutilité de l’habitude dans les cas où elle serait la plus nécessaire.

Quelle doit être la grande attention du musicien dans l’exécution ? C’est sans doute d’entrer dans l’esprit du compositeur, et de s’approprier ses idées pour les rendre avec toute la fidélité qu’exige le goût de la pièce. Or l’idée du compositeur dans le choix des sons est toujours relative à la tonique, et par exemple, il n’emploiera point le fa dièse comme une telle touche du clavier, mais comme faisant un tel accord ou un tel intervalle avec sa fondamentale. Je dis donc que si le musicien considère les sons par les mêmes rapports, il fera ses mêmes intervalles plus exacts et exécutera avec plus de justesse qu’en rendant seulement des sons les uns après les autres, sans liaison et sans dépendance que celle de la position des notes qui sont devant ses yeux, et de ces foules de dièses et de bémols qu’il faut qu’il ait incessamment présents à l’esprit  ; bien entendu qu’il observera toujours les modifications particulières à chaque ton, qui sont, comme je l’ai déjà dit, l’effet du tempérament, et dont la connaissance pratique, indépendante de tout système, ne peut s’acquérir que par l’oreille et par l’habitude.

Quand on prend une fois un mauvais principe, on s’enfile d’inconvénients en inconvénients, et souvent on voit évanouir les avantages mêmes qu’on s’était proposés. C’est ce qui arrive dans la pratique de la musique instrumentale  ; les difficultés s’y présentent en foule. La quantité de positions différentes, de dièses, de bémols, de changements de clés, y sont des obstacles éternels au progrès des musiciens  ; et après tout cela il faut encore perdre, la moitié du temps, cet avantage si vanté du rapport direct de la touche à la note, puisqu’il arrive cent fois par la force des signes d’altération simples ou redoublés, que les mêmes notes deviennent relatives à des touches toutes différentes de ce qu’elles représentent, comme on l’a pu remarquer ce-devant.

Voulez-vous pour la commodité des voix transposer la pièce un demi-ton ou un ton plus haut ou plus bas : Voulez-vous présenter à ce symphoniste de la musique notés sur une clé étrangère à son instrument ? Le voilà embarrassé, et souvent, arrêté out court si la musique est un peu travaillée. Je crois, à la vérité, que les grands musiciens ne seront pas dans le cas  ; mais je crois aussi que les grands musiciens ne le sont pas devenus sans peine, et c’est cette peine qu’il s’agit d’abréger. Parce qu’il ne sera pas tout-à-fait impossible d’arriver à la perfection par la route ordinaire, s’ensuit-il qu’il n’en soit point de plus facile ?

Supposons que je veuille transposer et exécuter en B fa si une pièce notée en C sol ut à la clé de sol sur la première ligne : voici tout ce que j’ai à faire  ; je quitte l’idée de la clé de sol, et je lui substitue celle de la clé d’ut sur la troisième ligne : ensuite j’y ajoute les idées des cinq dièses posés, le premier sur le fa, le second sur l’ut, le troisième sur le sol, le quatrième sur le re, et le cinquième sur le la ; à tout cela je joins enfin l’idée de ’une octave au-dessus de cette clé d’ut, et il faut que je retienne continuellement toute cette complication d’idées pour l’appliquer à chaque note, sans quoi me voilà à tout instant hors de ton. Qu’on juge de la facilité de tout cela.

Les chiffres employés de la manière que je le propose produisent des effets absolument différents. Leur force est en eux-mêmes et indépendante de tout autre signe. Leurs rapports sont connus par la seule inspection, et sans que l’habitude ait à y entrer pour rien  ; l’intervalle simple est toujours évident dans l’intervalle redoublé : une leçon d’un quart d’heure doit mettre toute personne en état de solfier, ou du moins de nommer les notes dans quelque musique qu’on lui présente  ; un autre quart d’heure suffit pour lui apprendre à nommer de même et sans hésiter tout intervalle possible, ce qui dépend, comme je l’ai déjà dit, de la connaissance distincte de trois intervalles, de leurs renversements, et réciproquement du renversement de ceux-ci qui revient aux premiers. Or il me semble que l’habitude doit se former bien plus aisément quand l’esprit en a fait la moitié de l’ouvrage, et qu’il n’a lui-même plus rien à faire.

Non seulement les intervalles sont connus par leurs genres dans mon système, mais ils le sont encore par leur espèce. Les tierces et les sixtes sont majeures ou mineures, vous en faites la distinction sans pouvoir vous y tromper  ; rien n’est si aisé que de savoir une fois que l’intervalle 2 4 est une tierce mineure, l’intervalle 2 4 une sites majeure, l’intervalle 3 i une sixte mineure, l’intervalle 3 1 une tierce majeure, etc. les quartes et les tierces, les secondes, les quintes et les septièmes, justes, diminuées, ou superflues, ne coûtent pas plus à connaître  ; les signes accidentels embarrassent encore moins, et l’intervalle naturel étant connu, il est si facile de déterminer ce même intervalle altéré par un dièse ou par un bémol, par l’un et l’autre tout à la fois, ou par deux d’une même espèce, que ce serait prolonger le discours inutilement que d’entrer dans ce détail.

Appliquez ma méthode aux instruments, les avantages en seront frappants. Il n’est question que d’apprendre à former les sept sons de la gamme naturelle et leurs différentes octaves sur un ut fondamental pris successivement sur les douze cordes* de l’échelle  ; ou plutôt, il n’est question que de savoir sur un son donné trouver une quinte, une quarte, une tierce majeure, etc. et les octaves de tout cela, c’est-à-dire, de posséder les connaissances qui doivent être le moins ignorées de musiciens dans quelque système que ce soit. Après ces préliminaires si faciles à acquérir, et si propres à former l’oreille, quelques mois donnés à l’habitude de la mesure mettent tout d’un coup l’écolier en état d’exécuter à livre ouvert : mais d’une exécution incomparablement plus intelligente et plus sûre que celle de nos symphonistes ordinaires. Toutes les clés lui seront également familières  ; tous les tons auront pour lui la même facilité, et s’il s’y trouve quelque différence, elle ne dépendra jamais que de la difficulté particulière de l’instrument, et non d’une confusion de dièses, de bémols, et de positions différentes si fâcheuses pour les commençants.

  • Je dis, les douze cordes, pour n’omettre aucune des difficultés possibles, puisqu’on pourrait se contenter des sept cordes naturelles, et qu’il est rare qu’on établisse la fondamentale d’un ton sur un des cinq sons altérés, excepté, peut-être, le si bémol. Il est vrai qu’on y parvient assez fréquemment par la suite de la modulation : mais alors, quoiqu’on ait changé de ton, la même fondamentale subsiste toujours, et le changement est amené par des altérations particulières.

Ajoutez à cela une connaissance parfaite des tons et de toutes la modulation, suite nécessaire des principes de ma méthode  ; et surtout l’universalité des signes qui rend avec les mêmes notes les mêmes airs dans tous les tons par le changement d’un seul caractère  ; d’où résulte une facilité de transposer un air en tout autre ton, égale à celle de l’exécuter dans celui où il est noté : voilà ce que saura en très peu de temps un symphoniste formé par ma méthode. Toute jeune personne avec les talents et les dispositions ordinaires et qui ne connaîtrait pas une note de musique, doit, conduite par ma méthode, être en état d’accompagner du clavecin à livre ouvert toute musique qui ne passera pas en difficulté celle de nos opéra, au bout de huit mois, et au bout de dix de celle de nos cantates.

Or si dans un si court espace on peut enseigner à la fois assez de musique et d’accompagnement pour exécuter à livre ouvert, à plus forte raison un maître de flûte ou de violon qui n’aura que la note à joindre à la pratique de l’instrument, pourra-t-il former un élève dans le même temps par les mêmes principes.

Je ne dis rien du chant en particulier, parce qu’il ne me paraît pas possible de disputer la supériorité de mon système à cet égard, et que j’ai sur ce point des exemples à donner plus fortes et plus convaincants que tous les raisonnements.

Après tous les avantages dont je viens de parler, il est permis de compter pour quelque chose le peu de volume qu’occupent mes caractères comparé à la diffusion de l’autre musique, et la facilité de noter sans tout cet embarras de papier rayé, où les cinq lignes de la portée ne suffisant presque jamais, il en faut ajouter d’autres à tout moment qui se rencontrent quelquefois avec les portées voisines ou se mêlent avec les paroles et causent une confusion à laquelle ma musique ne sera jamais exposée. Sans vouloir en établir le prix sur cet avantage, il ne laisse pas cependant d’avoir une influence à mériter de l’attention  ; combien sera-t-il commode d’entretenir des correspondances de musique sans augmenter le volume des lettres ? Quel embarras n’évitera-t-on point dans les symphonies et dans les partitions de tourner la feuille à tout moment ? Et quelle ressource d’amusement n’aura-t-on pas de pouvoir porter sur soi des livres et des recueils de musique comme on en porte de belles lettres sans se surcharger par un poids ou par un volume embarrassant, et d’avoir, par exemple, à l’Opéra un extrait de la musique joint aux paroles, presque sans augmenter le prix ni la grosseur du livre ? Ces considérations ne sont pas, je l’avoue, d’une grande importance, aussi ne les donné-je que comme des accessoires  ; ce n’est, au reste, qu’un tissu de semblables bagatelles qui fait les agréments de la vie humaine, et rien ne serait si misérables qu’elle, si l’on n’avait jamais fait d’attention aux petits objets.

Je finirai mes remarques sur cet article en concluant qu’ayant retranché tout d’un coup par mes caractères les soixante et dix combinaisons que la différente position des clés et des accidents produit dans la musique ordinaire  ; ayant établi un signe invariable et constant pour chaque son de l’octave dans tous les tons  ; ayant établi de même une position très simple pour les différentes octaves, ayant fixé toute l’expression des sons par les intervalles propres au ton où l’on est  ; ayant conservé aux yeux la facilité de découvrir du premier regard si les sons montent ou descendent  ; ayant fixé le degré de ce progrès avec une évidence que n’a point la musique ordinaire  ; et enfin ayant abrégé de plus des trois quarts, et le temps qu’il faut pour apprendre à solfier, et le volume des notes, il reste démontré que mes caractères sont préférables à ceux de la musique ordinaire.

Une seconde question qui n’est guère moins intéressante que la première, est de savoir si la division des temps que je substitue à celles des notes qui les remplissent, est un principe général plus simple et plus avantageux que toutes ces différences de noms et de figures qu’on est contraint d’appliquer aux notes, conformément à la durée qu’on leur veut donner.

Un moyen sûr pour décider cela, serait d’examiner à priori si la valeur des notes est faite pour régler la longueur des temps, ou si ce n’est point, au contraire, par les temps mêmes de la mesure que la durée des notes doit être fixée. Dans le premier cas, la méthode ordinaire serait incontestablement la meilleure, à moins qu’on ne regardâit le retranchement de tant de figures comme une compensation suffisante d’une erreur de principe d’où résulteraient de meilleurs effets. Mais dans le second cas, si je rétablis également la cause et l’effet pris jusqu’ici l’un pour l’autre et que par là, je simplifie les règles et j’abrège la pratique, j’ai lieu d’espérer que cette partie de mon système, dans laquelle, au reste, on ne m’accusera d’avoir copié personne, ne paraîtra pas moins avantageuse que la précédente.

Je renvoie à l’ouvrage dont j’ai déjà parlé, bien des détails que je n’ai pu placer dans celui-ci. On y trouvera, outre la nouvelle méthode d’accompagnement dont j’ai parlé dans la Préface, un moyen de reconnaître au premier coup d’œil les longues tirades de notes en montant ou en descendant afin de n’avoir besoin de faire attention qu’à la première et à la dernière  ; l’expression de certaines mesures syncopées qui se trouvent quelquefois dans les mouvements vifs à trois temps  ; une table de tous les mots propres à exprimer les différents degrés du mouvement  ; le moyen de trouver d’abord la plus haute et la plus basse note d’un air et de préluder en conséquence  ; enfin, d’autres règles particulières qui toutes ne sont toujours que des développements des principes que j’ai proposés ici  ; et surtout, un système de conduite pour les maîtres qui enseigneront à chanter et à jouer des instruments, bien différent dans la méthode, et j’espère dans le progrès, de celui dont on se sert aujourd’hui.

Si donc aux avantages généraux de mon système, si à tous ces retranchements de signes et de combinaisons, si au développement précis de la théorie, on ajoute les utilités que ma méthode présente pour la pratique  ; ces embarras de lignes et de portées tous supprimés, la musique rendue si courte à apprendre, si facile à noter, occupant si peu de volume, exigeant moins de frais pour l’impression, et par conséquent, coûtant moins à acquérir ; une correspondance plus parfaite établie entre les différentes parties sans que les sauts d’une clé à l’autre soient plus difficiles que les mêmes intervalles pris sur la même clé  ; les accords et le progrès de l’harmonie offerts avec une évidence à laquelle les yeux ne peuvent se refuser  ; le ton nettement déterminé  ; toute la suite de la modulation exprimée, et le chemin que l’on a suivi, et le point où l’on est arrivé, et la distance où l’on est du ton principal  ; mais surtout l’extrême simplicité des principes jointe à la facilité des règles qui en découlent  ; peut-être trouvera-t-on dans tout cela de quoi justifier la confiance avec laquelle j’ose présenter ce projet au public.

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Presses universitaires de Liège

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Aux origines d’une discipline historique

Chapitre IV. Les origines de la musique

Chapitre IV. Les origines de la musique

Texte intégral, 1. théories mythistoriques.

1 Salomon de Caus , Institution harmonique, Francfort, 1615, p. 1.

2 Ibid., p. 1-1’.

1 Lorsque, dans la dédicace de son Institution harmonique (1615), Salomon de Caus prévient qu’il va rassembler « plusieurs opinions, & choses alléguées, tant par les Antiques, comme aussi par aucun Modernes 1  », le lecteur se prépare à lire un résumé des idées transmises jusqu’au début du xvii e  siècle par les théoriciens de la musique et les historiens. Que signifie, dans la seconde décennie du xvii e  siècle, rassembler plusieurs avis sur les origines de la musique ? Perpétuer une tradition ancestrale qui confronte Jubal et Pythagore, religion chrétienne et légende grecque, action divine et acte de réflexion humaine. Caus passe rapidement sur le problème, se contentant de noter que la « Musique a esté inventée un peu après la création du monde 2  » tandis qu’elle devient science, c’est-à-dire digne d’attention, seulement lorsque Pythagore invente le monocorde. Il rassemble brièvement les deux opinions afin de se concentrer sur l’objet propre de son traité. En fait, il combine considérations arithmétiques et géométriques sur le musical dans le sens où il présente la musique comme une harmonie de toute abstraction logique, sensation morale et esprit divin qui est présent dans le théâtre de la vie naturelle et de la vie éternelle. L’ingénieur maintient que, même si la musique existe sous forme d’une science dont les mouvements peuvent être étudiés suivant les lois de la logique, ses fondements dépassent tout contrôle quantifiable puisqu’ils sont réglés par une harmonie spirituelle qui transcende les activités du monde. Parce qu’elle résulte de cette situation, la musique diffère des autres disciplines sœurs.

3 Marin Mersenne , Questions inouyes ou récréation des scavans, Paris, 1634, p. 102-103.

2 Quelques années plus tard, Marin Mersenne aborde à son tour le problème des origines de la musique. Son premier contact avec la musique, du moins dans une perspective historique, procède d’un dessein apologétique. Les Quaestiones in Genesim (1624) prétendaient réduire à néant une foule d’ouvrages, produits de l’athéisme, qui inondaient Paris. Cette œuvre gigantesque ne se sert en fait du texte de la Bible que comme canevas à cette lutte acharnée et s’offre plutôt comme le lieu privilégié d’exposition des idées que Mersenne avait en matière non seulement d’exégèse mais aussi de mathématique, de physique, d’astronomie, d’agriculture, de linguistique et de musique. Le savant y révèle son tempérament juvénile, plein d’incertitudes et d’impatiences. Il y 5ERrévèle également son attachement sincère à l’Écriture sainte : Jubal, ainsi qu’il est écrit dans l’Ancien Testament, a inventé la musique. Fruit de la volonté divine, elle atteint chez les Hébreux, dès ses débuts, un degré de qualité inégalé si ce n’est par les Grecs. Mersenne ne cherche pas plus loin, ni même à situer cette création avec précision dans le temps. D’ailleurs la chronologie de la Bible ne l’embarrassait guère puisque, sans connaître la date de la création ni la succession des principaux événements, la création reste une donnée de foi qui ne rend en rien irrationnelle l’hypothèse de l’éternité du monde 3 .

4 Marin Mersenne , Questions harmoniques, Paris, 1634, p. 339.

5 Marin Mersenne , Les préludes de l’harmonie universelle, Paris, 1634, p. 221.

  • 6 Peter dear (Mersenne and the Learnings of the Schools, Ithaca, 1988, p. 48-116) a remarquablement (...)

3 À partir des Questions harmoniques 4 et des Préludes à l’harmonie universelle 5 , Marin Mersenne commence à contester ses théories des années 1620. Avec l’Harmonie Universelle (Paris, 1636), une autre voix que celle des Quaestionnes in Genesim se fait entendre. Ce revirement sérieux n’eût été possible, pour un esprit semblable à celui du minime, sans une critique sérieuse des témoignages rendue possible par la physique des lois, principe fondamental du mécanisme 6 . Tout en respectant toujours le miracle, Mersenne veut éliminer a priori les récits mythiques, les exagérations, et seul le principe physique le lui permet. L’argument d’autorité ne lui suffit plus.

7 Marin Mersenne , Harmonie universelle, Paris, 1636, vol. Il, p. 11.

8 Ibid., p. 14-15.

4 Mersenne repose la question des origines dans un nouveau contexte et avoue d’emblée son attachement à la théorie pythagoricienne, c’est-à-dire à l’idée d’invention de la musique grâce à un développement du système perceptif. Il parvient à l’énoncé de sa théorie en montrant la contradiction qui règne entre la tradition qui veut que l’homme « a esté créé droit, iuste, & sçavant 7  » et la réalité du développement progressif des facultés et des connaissances. À cela s’ajoute la constatation des différences qui rend caduque toute interprétation monolithique du phénomène originel. L’homme crée un langage, car il sent le besoin de s’exprimer et établit ce langage pour et en fonction de son environnement social. De là provient la disparité des cultures musicales. Mais surtout, cette logique l’autorise à ne plus suivre aveuglément l’Écriture sainte. L’audace d’une telle interprétation, Mersenne la modère en rattrapant tout par sa conception de la nature. Sa proposition XIV du premier livre « De la voix », cherche à savoir « si la nature n’avoit point donné la voix dont on exprime les passions, à sçavoir si l’on inventeroit les mesmes voix dont elle use, ou si l’on en pourroit inventer de meilleures & de plus convenables 8  », ce qui illustre une pensée qui a déjà poussé aux extrêmes le mécanisme. Le minime reste convaincu de la volonté divine et de son rôle sur la formation de l’homme ; aussi en conclut-il sur un constat d’échec dissimulé :

9 Ibid., p. 15. « Il ne suffit pas de dire qu’une chose est naturelle à l’animal, ou à quelque corps, si l’on ne monstre pourquoy elle luy est naturelle : mais parce que ceste démonstration suppose la parfaite connoissance de l’animal, ou du corps, laquelle l’homme ne peut avoir eu en ce monde, il faut élever nostre esprit à Dieu au lieu de l’occuper plus long-temps dans ces considérations, & admirer sa providence & sa sagesse, qui est si éminente en chaque créature, qu’il nous est impossible de la comprendre, iusques à ce qu’il ait osté le cachet qui nous ferme ce mystère, & qu’il nous ait éclairez de la lumière de gloire. 9  »
  • 10 Les implications des théories historiques de Mersenne concernent également la hiérarchisation musi (...)

5 Marin Mersenne, s’il offrait aux alentours de 1635 une nouvelle formulation de la question des origines, et pas seulement de la musique, offrait également une disparité de modes d’approche qui n’allait pas favoriser une orientation précise et délimitée de la recherche sur les fondements et les origines de la musique, car le débat sur les limites de la connaissance humaine restait intense 10 .

11 Antoine Parran , Traité de la musique théorique et pratique, Paris, 1639, p. 2-3.

6 La mythistoire religieuse gouverne, dans le Traité de musique (Paris, 1640) d’Antoine Parran, la conception des origines de la musique. Non seulement elle la gouverne mais elle l’impose car s’il écrit « avec asseurence & vérité, que le premier inventeur de cet Art libéral après Adam... a esté Iubal », il juge bon de ne pas « recourir à un Mercure, & à sa lyre de quatre ou sept cordes » qui est « une fable qui ne doit estre mise en ligne de compte 11 . » Ajouter à cela la confusion qui règne dans son explication étymologique de la musique où il n’adopte pas une position nette :

12 Ibid, p. 3. « quelques-uns disent venir de Moys qui signifie l’eau en langue Egyptienne, pource qu’elle a esté inventée près des eaux, comme disoit Moysicus... Secondement de Musa, que l’on dit estre un instrument très excellent en Musique. Bref, à l’opinion de Sainct-Isodore, elle prend son étymologie des Muses, dont le nombre est égal aux instrumens qui forment la voix. 12  »
  • 13 James MacKinnon , « Jubal vel Pythagoras, Quis sit inventor musicae ? », The Musical Quarterly, LXI (...)
  • 14 Don Harran a montré en quoi l’attachement au texte de la Bible revêtait une valeur spécifique pour (...)

7 Par ces quelques remarques, Parran illustre la tendance commune à la première moitié du xvii e  siècle. À l’emprise de l’explication théologique mythistorique qui s’affirme être la seule complètement crédible, s’ajoute la tradition mythologique païenne 13 . Le jésuite, comme précédemment le minime, n’ose prendre une position arrêtée 14 .

15 René Ouvrard , La musique rétablie, Tours, Bibliothèque municipale, Ms.822, f° 21.

8 La musique rétablie c.1690) ( de René Ouvrard marque un tournant dans l’historiographie musicale française du xvii e  siècle. Le chanoine décide effectivement d’éliminer de son tableau historique tous les récits mythologiques qui faisaient jusque-là la matière principale des développements sur les origines de la musique et de reposer le problème de la musique dans ses rapports avec Dieu et la Bible. Il parvient à l’exposé de sa théorie en affirmant que la « Musique est aussi ancienne que le Monde puisque la Nature a toujours inspiré à tous les hommes de chanter dès le berceau 15  » . Ce don, ancré dans le fors intérieur de l’être humain, rend « inutile de chercher qui en a été l’auteur ». Idée audacieuse, car à aucun moment, Ouvrard n’identifie le premier homme à Adam, ni même ne pose clairement que son récit fera abstraction des événements historiques les plus reculés.

9 Le premier âge de la musique correspond à celui de la musique naturelle :

16 Ibid., f° 24. « c’est-à-dire l’inclination que la Nature a donné à tous les hommes de chanter, d’aymer la musique, d’entonner par toute la terre ses Intervalles de la même manière, sans communication & sans étude. 16  »

10 Ici, comme ailleurs dans ses théories sur le beau architectural, René Ouvrard réduit à une simple inclination « naturelle » la découverte de la musique pour replacer sa théorie prémonitrice de la génération harmonique. En effet, la nature contient les éléments qui constitueront les premiers chants. Ces éléments sont d’ordre harmonique : l’unisson, l’octave, la quinte et la quarte. Le fondement de la musique est universel et contenu dans l’organisation physique de la nature.

11 Que deviennent alors la tradition biblique et la tradition mythologique dans un univers où tout apparaît appréhendable par la raison mathématique ? Ouvrard s’ingénie à ordonner les phénomènes les plus anciens selon une dichotomie naturel/artificiel. Jubal pour les Hébreux, Amphion et Orphée pour la Grèce ou l’Égypte, relèvent de la seconde catégorie, « cela veut dire qu’ils ont été plus illustres entre ceux qui ont travaillé à perfectionner ce bel Art, & s’en sont fait remarquer comme les Pères & les premiers Auteurs ». S’ils furent les premiers que l’histoire a retenus, ils n’en sont pas pour autant les inventeurs puisque les effets de la nature se sont fait sentir dès les origines.

  • 17 Philippe Vendrix , « Proportion harmonique et proportion architecturale dans la théorie française d (...)

12 Ouvrard, théologien avisé, ne rejette pas le miracle originel. Il cherche plutôt à prouver, comme le faisait Malebranche à la même époque, que Dieu ne doit pas être vu comme intervenant dans le cours de l’histoire, mais comme le gestionnaire omniscient du monde. Dieu avait prévu, dans sa préscience infinie, par une sage combinaison du physique et du moral, du naturel et du surnaturel, que les lois de la communication des mouvements entraîneraient des bouleversements et des créations. Cette théorie est explicite dans son Architecture harmonique (Paris, 1679) : Dieu a insufflé au corps humain des proportions harmonieuses, parfaites, dont on doit rechercher la correspondance dans les créations architecturales 17 . La musique fonctionne de la même manière : le monocorde met en évidence des rapports simples qui entretiennent une relation avec les proportions physiologiques, de sorte qu’en les utilisant dans la musique, l’homme se rapproche de la volonté divine.

13 La pensée de René Ouvrard n’est pas isolée. Elle ne fut pas non plus un lieu commun. Phérotée de Lacroix, dans L’art de la poésie françoise et latine, avec une idée de la musique sous une nouvelle méthode (Lyon, 1694) a tenté de clarifier un raisonnement proche de celui du chanoine de Tours. Le point de départ de ses réflexions se situe également dans la division de la musique en deux grandes catégories contenant chacune une série de respectivement six et trois espèces :

  • 18 A. Pherotee de Lacroix , L’art de la poésie françoise et latine , avec une idée de la musique sous (...)

14 Le point de départ de toute chose est la musique divine puisqu’elle recouvre l’ensemble des proportions que Dieu a mises en toute chose. D’elles découlent naturellement les proportions présentes dans les autres parties de l’univers, des astres et cieux (musique céleste), aux éléments (musique élémentaire), en passant par l’ordre et les mouvements (musique universelle). La musique originale « est celle d’où l’on tire les autres espèces de Musique qu’on peut appeler dérivées 18  » . La musique artificielle provient donc de la musique naturelle, condition « sine qua non » :

19 Ibid., p. 620. « Il est certain que la Musique Artificielle n’est qu’une imitation de la Naturelle, autrement elle ne seroit point Musique. 19  »

20 Ibid., p. 621.

15 Le passage d’une à l’autre s’effectua de deux manières suivant la condition sociale de son réalisateur. Si Lacroix mentionne, « on croit que Jubal... est le premier qui l’a fait éclater dans le Monde 20  », il préfère recourir à deux capacités de l’esprit : le raisonnement et l’imitation. Comme l’homme réfléchit « naturellement » sur les proportions et les accords de tout ce qui l’entoure, il est logique qu’il ait produit la musique artificielle. Par contre, celui qui, comme un berger, ne dispose pas des mêmes facultés de réflexion, procède par imitation de la nature. L’originalité de Lacroix transparaît également par son pressentiment de la théorie qui unira la naissance du langage et celle de la musique, car l’oreille, constate-t-il, écoute attentivement les inflexions vocales liées à la prononciation des lettres.

21 Cet avis fut partagé par un grand nombre de théoriciens du xviii e  siècle.

16 L’ Histoire de la musique et de ses effets (1715) de Bonnet-Bourdelot mérite sa qualification par Pierre-Jean Burette de « compilation très informe 21  » . Il s’agit effectivement bien d’une compilation que Jacques Bonnet-Bourdelot a publiée, du moins pour les origines de la musique. Il devait être bien embarrassé devant la quasi-absence de renseignements sur ce problème :

22 Jacques Bonnet - Bourdelot , Histoire de la musique et de ses effets, Paris, 1715, p. 2. « Quantité d’Historiens, & de Relations de Voyageurs, nous apprenent que la Musique est en usage par tout l’Univers, mais fort peu nous instruisent de son Origine. 22  »

17 Bonnet-Bourdelot choisit d’exposer toutes les théories possibles, ou apparemment possibles pour lui, des origines sans toutefois les regrouper dans un chapitre ou même établir des relations entre elles.

23 Ibid., p. 106.

18 Lorsqu’il traite de la musique des Hébreux, Bonnet-Bourdelot trouve dans la Genèse une explication des origines crédibles vu que « les opinions des Auteurs prophanes doivent céder aujourd’hui à celles de l’Écriture Sainte 23  » . Aussi, affirme-t-il que Jubal fut l’inventeur de la musique même si le récit de Moïse ne précise pas de quelle manière l’idée lui vint, ni ce qu’il en fit. En fait, si Bonnet-Bourdelot se tourne vers le récit biblique, c’est un peu par dépit :

24 Ibid., p. 108. « Je crois ce sentiment le plus ortodoxe, car sans ces preuves, l’origine de la Musique nous seroit aussi inconnue que la situation du Paradis terrestre, ou que la source du Nil, ce qui doit terminer toutes contestations sur celle de la Musique. 24  »

19 Jubal vivait en l’an 230 après la création du monde ; or peu après, le déluge a ravagé le globe. Bonnet-Bourdelot n’envisage pas une continuité. Il aborde les origines de la musique dans quelques nations sans établir de lien avec celle des premiers Hébreux. Le système grec, d’abord. Mercure produisit le premier système en construisant un instrument diatonique sur lequel il pouvait jouer ses compositions basées sur l’ordre du tétracorde. Hérodote situe cet événement « environ l’an 2115 du monde ». Bonnet-Bourdelot range ces dires de l’historien antique dans la catégorie des récits vraisemblables. Plusieurs historiens modernes considèrent encore cet épisode véridique, ce qui n’est pas sans le rassurer. De plus, l’auteur de l’Histoire de la musique et de ses effets se rallie aux thèses avancées par le père Paul-Yves Pezron, qui, dans son Antiquité de la nation et de la langue des Celtes, autrement appelez Gaulois (Paris, 1703), prouve l’existence historique des divinités grecques. Au moment où Mercure établissait les fondements de la théorie musicale grecque, la Gaule commençait à la pratiquer :

25 Ibid., p. 255. « On doit demeurer d’accord que les Gaulois l’ont possédé dès l’an 2140 du Monde. 25  »

26 Ibid., p. 169.

27 Ibid., p. 170.

20 Comment l’idée vint aux Gaulois de faire de la musique, n’est pas le propos de Bonnet-Bourdelot. Il ne veut que rapporter ce qu’écrivirent sur le sujet Diodore de Sicile ou Grégoire de Tours. Il établit cependant une distinction qui pourrait laisser supposer qu’il avait perçu la relativité des théories originelles sur la musique. Ainsi classe-t-il les Gaulois parmi les nations qui admettent le déluge universel. La situation devient plus complexe encore lorsqu’il s’agit d’introduire les Chinois qui pratiquèrent la musique « avant les Européens 26 . » L’auteur préfère ne pas recourir à la chronologie chinoise qui lui semble fabuleuse. Néanmoins, il reconnaît Fossius comme l’inventeur de la musique, « près de trois mille ans avant la naissance de Jesus-Christ 27  » .

21 La relation des origines de la musique est assez confuse dans l’ Histoire de la musique et de ses effets. Cependant, elle vaut la peine d’être mentionnée pour plusieurs raisons, dont la moindre n’est pas que cet ouvrage marque les débuts d’un genre en France. La qualité majeure de l’œuvre réside là où elle semble pêcher pour beaucoup de critiques : la compilation. Aucun auteur n’avait jusqu’alors cédé aux tentations mythiques et miraculeuses de manière si totale. Que ce soient les Gaulois, les Grecs, les Chinois, ou les Hébreux, tous participent aux origines de la musique. L’intérêt d’un relevé de tous ces récits est de susciter une remarque primordiale pour le devenir du champ heuristique :

28 Ibid., p. 170. « il s’ensuit de là que les Caldéens, les Egyptiens, les Hébreux, ni les Grecs, ne sont pas sans contredit les seuls Inventeurs de la Musique. 28  »

22 Dès la préface, Bonnet-Bourdelot avait déjà soulevé le problème de la relativité des théories originelles et avait mentionné les querelles qui séparaient les anciens peuples sur l’invention des arts. L’ Histoire de la musique et de ses effets se rattache par l’articulation et non la liaison des phénomènes, historiques ou non, à la pratique historiographique du xvii e  siècle qu’avait illustrée Parran dans ses remarques, certes plus succintes, mais pareillement organisées. Un élément pertubateur intervient dans cet ouvrage : la multiplicité des systèmes chronologiques. Une chronologie du monde d’inspiration biblique est employée dans les chapitres concernant les Hébreux, les Grecs et les autres peuples liés à la Bible ; une chronologie axée sur la naissance du Christ qui servira pour l’histoire des progrès de la musique mais également pour situer plus aisément des civilisations éloignées comme, par exemple, la Chine.

  • 29 Lecerf de la Vieville , dans sa Comparaison de la musique italienne et de la musique françoise (Brux (...)

23 Cette diversité des systèmes référentiels rattache également l’œuvre de Bonnet-Bourdelot à l’historiographie baroque. Cet usage rend, au lecteur familiarisé avec chacun des systèmes, le discours plus précis : la liaison avec des événements extérieurs mais considérés dans un de ces systèmes en est plus aisée. Ce lieu commun à nouveau exposé ici illustre aussi les incertitudes de l’auteur : l’emprise de la mythistoire y côtoie la prise de conscience de civilisations extérieures à la chrétienté. Devant ce nouvel horizon, Bonnet-Bourdelot hésite et préfère la multiplicité des solutions à l’élaboration d’un système unique et universel. Se retrouve ainsi l’orientation qu’il désirait conférer à son travail : réunir différents avis sur des questions d’histoire de la musique 29 .

2. THÉORIES PRIMITIVISTES ET ESTHÉTIQUES

30 Robert Finch , The Sixth Sense. Individualism in French Poetry 1686-1760, Toronto, 1966.

  • 31 Psyché (1678), Bellérophon (1679), Thétis et Pélée (1689), Enée et Lavinie (1690). Voir Béatrice Di (...)

24 Bien avant de rédiger ses ouvrages philosophiques, Fontenelle avait associé musique et poésie dans ses vers 30 . Les références au monde musical y sont multiples. Les quatre tragédies en musique auxquelles il collabora 31 l’obligent à envisager les relations existantes entre les deux arts. Son travail de librettiste le conduit à des réflexions sur la musique. C’est surtout par son rôle dans la querelle des Anciens et des Modernes et plus encore par son contact avec les protagonistes de la querelle homérique des années 1710, que Fontenelle va se préoccuper de retrouver l’origine absolue de la poésie, art dans lequel il excelle et qui entretient, dans la pratique qu’il en donne, des rapports étroits avec la musique.

  • 32 Bernard Le Bovier de Fontenelle , Œuvres complètes, éd. par G.-B. Depping , Paris, 1818, t. III, p.  (...)
  • 33 Fontenelle sait qu’il part sur des postulats qui sont faux, à la fois chrétiens primitifs et payen (...)
  • 34 II convient de rappeler l’importance du rôle joué par Fontenelle dans la diffusion de l’idée d’Arc (...)

25 Le Discours sur la nature de l’églogue, couronné par l’Académie en 1687, donne la poésie pastorale pour « la plus ancienne de toutes les poésies » car la « condition de Berger est la plus ancienne de toutes les conditions 32  » . L’homme chante par oisiveté. Fontenelle ne tente pas de découvrir la nature des éléments de ce chant primitif ni de quelle manière ils sont apparus à l’esprit humain 33 . En décrivant cette étape comme primitive, l’auteur rend possible l’histoire des progrès de la poésie puisque la formation des groupes sociaux dans lesquels l’homme gagne en politesse, succède à l’état de berger, ce qui suppose un perfectionnement nécessaire et souhaitable de la poésie pastorale 34 .

26 Plus tard, Fontenelle, ayant réalisé l’insuffisance de sa théorie, aborde à nouveau le problème en l’enrichissant cette fois d’une explication plus raisonnée. Sur la poésie en général (1751) introduit la donnée quasi irrécusable de la nature humaine et de son fonctionnement. Si l’homme produit quelque chose, c’est parce qu’il en ressent le besoin, même si cette perception est le fruit du hasard. L’occasionnalisme de la thèse du Discours sur la nature de l’églogue se trouve ainsi intégré dans un schéma rationnel. De même, le plaisir qui avait été considéré comme cause de l’invention prend valeur d’effet : une invention procure du plaisir mais le plaisir ne provoque pas l’invention. En termes clairement définis, Fontenelle envisage deux origines possibles à la poésie ; le chant ou les lois :

35 Ibid., t. III, p. 35. « Je n’imagine guère pour origine de la poésie, que les lois ou le chant, deux choses cependant d’une nature extrêmement différente. 35  »

36 Ibid., p. 36.

27 La genèse de la poésie issue du chant implique la notion d’imitation : l’homme chante à l’imitation des oiseaux. Il effectue un choix parmi ces derniers, préférant ceux, parce qu’ils procurent du plaisir, qui organisent leurs chants de manière plus suivie, c’est-à-dire ceux qui donnent « une légère apparence de suite 36  ». L’homme va perfectionner cette « composition » et finalement lui adjoindre des paroles qui, en se calquant sur la régularité du chant, produisent des vers. Si les lois peuvent être considérées comme une origine, il faut y voir la recherche par l’homme, avant l’écriture, d’une organisation rythmique du discours qui facilite la mémorisation des textes des lois fondamentales. Fontenelle précise qu’il est fort probable que ces deux origines furent étroitement liées :

37 Ibid., p. 37. « Amphion et Orphée sont peut-être devenus législateurs parce qu’ils étaient chantres. 37  »

28 Dans sa volonté d’émanciper l’esprit humain de toute contrainte extérieure, Fontenelle envisage la relation de cette poésie-musique originelle avec Dieu et considère cette association comme la preuve d’un manque de raisonnement inconcevable au xviii e  siècle :

38 Ibid. « Les premiers Poètes n’eurent qu’à se porter pour inspirés par les Dieux, pour envoyés des Dieux, pour enfants des Dieux, on les en crut. 38  »
  • 39 On pourrait situer le texte de Caylus , Lettre sur l’origine de la musique (manuscrit que Maurice B (...)

29 Quoique Fontenelle n’ait jamais explicitement décrit le fonctionnement originel de la musique, il n’en demeure pas moins qu’il imagine une approche qui aura une grande importance pour le xviii e  siècle. Certes, une évolution se dessine du primitivisme du Discours sur la nature de l’églogue à celui de Sur la poésie. Dans le premier cas, Fontenelle définissait l’état de nature comme un moment mythique assez charmant, comme un refuge en quelque sorte de la vie mondaine. Ceux qui s’associeront à ces idées, ne considéreront jamais ce point de vue comme l’image d’une réalité passée ou comme une anthropologie politique 39 . Au contraire, le « second » primitivisme pose de manière neuve les relations originelles entre poésie, donc parole et musique. La controverse va devenir possible, et tous les historiens de la littérature et des beaux-arts s’y adonneront : la musique donne-t-elle naissance à la parole ou la parole donne-t-elle naissance à la musique ? Dans la première question sont sous-entendues des recherches sur les origines du phénomène musical hors les accents prosodiques : Fontenelle reste fidèle au principe d’imitation des chants de la nature, mais il n’exclut pas d’autres théories qui seront développées par la suite. En s’intéressant à l’esprit humain et surtout en tentant de l’émanciper, Fontenelle reste fidèle au principe d’imitation des chants de la nature. En s’intéressant à l’esprit humain et surtout en tentant de l’émanciper, Fontenelle tourne le dos à la tradition et ouvre la porte aux recherches psychologiques et physiologiques. Si la musique ne naît que parce qu’il y a l’homme, comment procède-t-il pour en découvrir les éléments latents dans la nature ou en lui-même ? quels sont les facteurs qui entrent en jeu ? et à quel moment de son histoire, l’homme est-il apte à percevoir ? Toutes les questions qui naissent des écrits de Fontenelle font de lui l’historien clé du début du xviii e  siècle, justifiant les théories mythistoriques qui avaient prévalu jusqu’alors, unissant schéma rationnel d’analyse et étude de la perception.

  • 40 Félix Juvenel de Carlencas , Essais sur l’histoire des belles lettres, des sciences et des arts, Ly (...)

30 La nouveauté des théories de Fontenelle va susciter des réactions immédiates. Toute un partie des Essais sur l’histoire des belles-lettres, des sciences et des arts (Lyon, 1749) de Juvenel de Carlencas constitue une tentative de réponse à ce qu’il qualifiait de « conjecture d’un bel esprit de siècle 40  ». Cette critique vise avant tout le Discours sur la nature de l’églogue, non seulement pour des raisons particulières, tel que le refus de considérer Théocrite dont l’œuvre est tardive, mais surtout pour des raisons philosophiques et religieuses : l’homme, formé par Dieu, cherche à l’admirer, à le célébrer et le fait, au départ, avec des sons inarticulés. Ensuite, prenant conscience des images que lui offre la nature, de l’harmonie et des cadences que lui suggère la comparaison des sons et des paroles, il peut donner l’expression qui convient :

41 Ibid., p. 62. « Telle est la nature de l’ancienne Poésie : son unique tâche était de publier les louanges de Dieu. Telle est son origine, tel enfin l’usage qu’en firent les Hébreux. 41  »

31 Attribuant à la musique liée à la parole, une fonction et une nature surnaturelles, Juvenel de Carlencas la suppose évidemment parfaite dès son origine. Opposition évidente à Fontenelle qui, en insistant sur l’état primitif de cet art originel, ouvrait la porte à une théorie du progrès :

42 Ibid., p. 70-71. « C’est parmi le Peuple de Dieu que la Poésie lyrique a pris naissance. Conduite par l’Esprit Saint, elle a été parfaite dès son origine ; & elle étoit inséparable de la Musique, parce qu’elle devoit servir à l’instruction de la postérité, & que l’on retient mieux les paroles mises en chant. 42  »

43 Ibid., vol. II, p. 300.

32 Lorsque Juvenel de Carlencas traite de la musique, il semble oublier ce qu’il avait écrit à propos de la poésie. Par exemple, les pages consacrées au poème lyrique, dont est extraite la citation ci-dessus, envisageaient la création de la poésie-musique originelle comme un phénomène extraordinaire, miraculeux, tandis que dans l’article consacré à la musique, l’imitation de phénomènes naturels est au fondement de la musique pratique. De plus, cette imitation concerne une partie du paysage sonore naturel, partie qui ne sera jamais définie. L’auteur se contente de parler de « l’imitation des sons dont la Nature se sert pour exprimer ses passions & ses sentimens 43  ».

  • 44 Cette édition en deux volumes fut suivie d’une nouvelle édition revue et corrigée en trois volumes (...)
  • 45 Sur l’abbé Dubos en général, voir Alfred Lombard , L’Abbé Du Bos : Un initiateur de la pensée moder (...)

46 Jean-Baptiste Dubos , Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1717, vol. I, p. 430.

33 Le but des Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture (Paris, 1719) 44 de l’abbé Jean-Baptiste Dubos n’était pas de définir les origines des arts mais plutôt d’expliquer en quoi consiste la beauté et de définir les qualités « soit naturelles, soit acquises » des hommes qui se sont illustrés dans les arts. Néanmoins, quelques allusions disséminées au long des trois volumes permettent de cerner l’idée que Dubos se faisait des origines de la musique 45 . Un point fondamental pour lui réside dans le fait que les arts ne naissent pas pour des causes morales, mais bien pour satisfaire des plaisirs dans un période troublée socialement. La meilleure preuve en est que les arts sont plus florissants durant les guerres qu’en temps de paix. La musique, née à un moment de crise indéterminé dans le temps, est le « troisième des moyens que les hommes ont inventés pour donner une nouvelle force à la Poésie, & pour la mettre en état de faire sur nous une plus grande impression 46  ».

34 En définissant le génie, Dubos introduit l’étude des causes qui déterminent le progrès des arts et par extension leur origine :

47 Ibid., vol. II, p. 6-7. « On appelle génie l’aptitude qu’un homme a reçue de la nature pour faire bien et facilement certaines choses que les autres ne savaient faire que très mal, même en prenant beaucoup de peine. 47  »

48 Ibid., vol. I, p. 430.

35 Ce phénomène est d’autant plus aisé pour la musique que les sons, dont le pouvoir émotif touche l’homme, puisqu’ils sont les signes des passions, furent « institués par la nature dont ils ont reçu leur énergie 48  ». Dubos s’inscrit donc dans la lignée sensualiste : notre sensibilité fait partie intégrante de nos organes dont la constitution dépend d’agents physiques, que Dubos ne cherche pas à définir de manière génétique. Les qualités acquises interviennent dans le cœur de l’histoire ; quant aux origines, il est possible de les définir en considérant les réponses sur un être sensible des qualités de la nature. L’originalité de l’abbé Dubos, au début du xviii e  siècle, réside dans la recherche d’une théorie en s’éloignant du dogmatisme et du rationalisme des « géomètres ».

49 Jean-Baptiste Gresset , Discours sur l’harmonie, Paris, 1737, p. 3.

36 En 1737, Jean-Baptiste Gresset tentait de réunir en un essai, Discours sur l’harmonie (Paris, 1737), les différentes tendances qui avaient été développées dans la définition des origines de la musique. Il lui fallait donc concilier le concept de nature avec le message biblique, la constitution physiologique de l’homme avec le principe d’imitation. Son point de vue est fondamentalement génétique, considérant « heureux un Art, dont l’Histoire est l’éloge 49   » . La musique répond à trois prérogatives : l’antiquité de son origine, son pouvoir et ses effets, sa vénération par tous les peuples. Gresset articule sa réflexion autour de ces points et les imbrique les uns dans les autres de manière à appuyer plus fermement sa théorie.

50 Ibid., p. 4.

37 Avant d’entrer en matière, il réclame, chez l’historien, un abandon des récits merveilleux, fabuleux, le recours aux divinités qui enténèbrent et voilent les origines. La démarche historique se doit de respecter des principes évidents à la raison et ne pas oublier que « les fleuves les plus majestueux dans leur cours n’ont été d’abord que de foibles ruisseaux partis souvent d’une source ignorée 50  ». Tout comme une prospection méticuleuse permet de déterminer cette source, il reste possible de découvrir le processus originel qui donna naissance à la musique. Gresset prend ses distances vis-à-vis de la Bible : si Jubal fut l’inventeur de la musique instrumentale, cela signifie que le chant était déjà à son époque un art, puisque l’instrument n’y servait qu’à l’accompagnement de la voix. L’idée de construire un instrument vint à Jubal soit par imitation, soit par génie. L’imitation est effectivement le moyen par lequel fut inventée la musique. Ce phénomène se produisit au commencement de la vie humaine, lorsque la compagne du premier homme trouva, par hasard, que sa voix l’autorisait à rivaliser avec « les gracieux accens des oiseaux ». Le premier être humain imite par plaisir. Toutes les étapes du processus se trouvent ainsi justifiées sauf l’idée d’imiter, qui devient une possibilité selon le développement physiologique et une continuation par plaisir. Gresset fait appel à la divinité pour expliquer la provenance de l’idée d’imitation de l’harmonie latente dans la nature :

51 Ibid., p. 28. « À chaque instant du jour la Nature vous répétera par toutes ses voix, que l’Harmonie est un présent qu’elle a reçu des Cieux pour charmer ses ennuis & pour faciliter ses travaux. 51  »

52 Charles Batteux , Les beaux-arts réduits à un même principe, Paris, 1746, p. 9.

  • 53 Pour la musique, voir Ruth Catz et Ruth Hacohen , « Ut Musica Poesis. The Crystallization of a Conc (...)

38 Les beaux-arts réduits à un même principe (Paris, 1746) de l’abbé Batteux constituent sans conteste un des essais les plus importants de l’esthétique française de la première moitié du xviii e  siècle. Sa motivation première est de présenter « un principe assez simple pour être saisi sur le champs, et assez étendu pour absorber toutes ces petites règles de détails 52  ». Ce principe, dénominateur commun à tous les arts et point de départ de sa réflexion, c’est l’imitation 53 . Toutefois, l’art n’est pas une imitation directe : il suggère et impose la réalité par le biais de l’illusion. Il s’ensuit que, puisque la musique, comme la poésie, la sculpture, est artifice, imitation, travail, elle n’est pas spontanée mais issue d’un phénomène culturel caractérisé. Il ne récuse pas pour autant l’existence d’une musique originelle, proche de la parole divine et qui serait l’expression des débuts de l’humanité :

54 Charles Batteux , op. cit., p. 319-320. « Les éléments des arts furent créés avec la nature. Mais les arts eux-mêmes, tels que nous les connaissons, tels que nous les définissons maintenant sont bien différents de ce qu’ils étaient quand ils commencèrent de naître. 54  »
  • 55 Cette notion de plaisir comme moteur de la création que l’on trouvait aussi chez Gresset et qui es (...)

39 L’homme a créé la musique, comme les autres arts, par ennui d’une nature simple et uniforme, mais aussi parce qu’il se trouvait dans une « situation propre à recevoir le plaisir 55  ». La musique naît donc d’un choix parmi les éléments naturels ; éléments que l’homme rassemble pour produire une œuvre plus parfaite que la nature elle-même, ce qui ne l’empêche pourtant pas de rester naturelle. La création de la musique est subordonnée aux fins que l’homme y recherche. Batteux avait effectivement défini trois espèces d’arts suivant ce réseau de rapports :

56 Charles Batteux , op. cit., p. 6. « Les uns ont pour objet les besoins des hommes que la nature semble abandonner à lui-même dès qu’une fois il est né... C’est de là que sont sortis les Arts mécaniques. Les autres ont pour objet le plaisir. Ceux-ci n’ont pu naître que dans le sein de la joie & des sentiments que produisent l’abondance & la tranquillité ; on les appelle les beaux Arts par excellence, tels sont la Musique, la Poésie,... La troisième espèce contient les Arts qui ont pour objet l’utilité & l’agrément tout à la fois : tels sont l’Eloquence & l’Architecture. 56  »

57 Ibid., p. 68.

58 Ibid., p. 69.

59 Ibid., p. 264.

40 Cette trichotomie des arts sous-entend un schéma historique. La musique naquit dans un temps où l’homme ne se préoccupait plus seulement de « soutenir ou de défendre 57  » mais où il sut que la justice et la vertu pouvaient le rendre heureux. Dès qu’il prit conscience de cela, l’homme « se livra aux plaisirs qui vont à la vérité de l’innocence. Le Chant & la Danse furent les premières expressions des sentimens 58  ». Que l’homme se tournât vers la musique et la danse se justifie par le fait que « les Gestes & les Tons sont comme le dictionnaire de la simple Nature ; ils contiennent une langue que nous savons en naissant 59  », ce qui n’est pas le cas de la parole qui est un langage d’institution.

60 Ibid., p. 7-8.

41 La musique, expression d’assouvissement des plaisirs au moyen d’éléments puisés dans la nature, ne se trouve cependant pas, chez Batteux, définie dans sa forme « latente ». Sa théorie n’aurait d’autre intérêt que de figurer dans un ouvrage largement diffusé s’il n’y était fait mention, un grand nombre de fois, à la notion de génie. Il ne suffit pas que les éléments du musical soient contenus dans la nature pour que la musique existe. Il faut le déclic que seul le génie peut fournir, dans la mesure où l’organisation sociale le permette. La phrase fondamentale figure au début des Beaux-arts  : « Ce sont les hommes qui ont fait les Arts : & c’est pour eux-mêmes qu’ils les ont faits 60  » . Certes, Dubos n’est pas loin : il avait énoncé une théorie du génie et il fondait les arts sur le procédé d’imitation. Toutefois, la relation du génie avec la nature s’effectuait selon un code sensualiste qui pourrait également justifier sa relation aux périodes troublées de la croissance créatrice. Avec Batteux, le débat s’oriente vers les satisfactions de l’esprit. C’est pour cette raison d’ailleurs que l’art est meilleur que la nature : il comble l’esprit. L’abbé Batteux revient ainsi, après quelques décennies marquées par les théories sensualistes, à un rationalisme esthétique et introduit, dans les théories musicales, à la simultanéité des deux approches.

3. THÉORIES GÉNÉTIQUES

  • 61 Etienne Bonnot de Condillac , Essai sur l’origine des connaissances humaines, Amsterdam, 1746, éd. (...)

62 Condillac , op. cit., p. 211-212.

42 L’année où Batteux publiait ses Beaux-arts, Etienne Bonnot de Condillac offrait un ouvrage où il se proposait également de réduire « à un seul principe », non plus les arts mais « tout ce qui concerne 1’entendement 61   » . Cet objectif revient à tenter de définir les opérations de l’âme, ce qui nécessite l’étude des origines et des progrès des signes. De là, la place accordée à l’examen du langage dans la seconde partie de l’essai. L’épistémologie historique de Condillac se fonde sur un principe de réduction à la raison de l’expérience réelle. Effectivement, partant du fait que la reconstitution historique ne peut donner, du moins pour la définition des origines, des résultats satisfaisants – il suffit de se reporter à toutes les études déjà effectuées –, Condillac entreprend une reconstitution non-historique, assuré qu’elle atteindra son but puisqu’elle se réalise dans l’irréalité la plus complète. Néanmoins, le moyen mis en œuvre pour parvenir à un résultat demeure fondamentalement génétique : l’analyse qui « consiste à remonter à l’origine des idées, à en développer la génération et à en faire différentes compositions ou décompositions, pour les comparer par tous les côtés qui peuvent en montrer les rapports 62  ». Condillac prenait conscience des dangers qu’une telle reconstitution, fondée uniquement sur l’analyse, faisait naître. Revendiquant la raison, il peut affirmer que son récit relève de la « vraisemblance ». La raison lui permet de démontrer « que les choses qui nous paraissent les plus singulières ont été les plus naturelles, et qu’il n’est arrivé que ce qui devait arriver ». Ce recours à la nécessité naturelle ne provoque pas une exclusion des récits bibliques. Condillac se donne même pour objet de « connaître les facultés dont Dieu, malgré le péché de notre premier père, nous a conservé l’usage ». Adam et Eve bénéficièrent incontestablement d’un secours extraordinaire pour disposer de la faculté de réfléchir et de communiquer leurs pensées :

63 Ibid., p. 111. « Adam et Eve ne durent pas à l’expérience les exercices des opérations de leur âme, et, en sortant des mains de Dieu, ils furent par un secours extraordinaire, en état de réfléchir et de se communiquer leurs pensées. 63  »

43 Condillac devait trouver une issue afin de valider historiquement, sans entrer en contradiction avec le message biblique, la théorie des origines qu’il allait exposer. Le récit du Déluge, dont s’étaient abondamment servis d’autres écrivains avant lui, vient à propos :

64 Ibid. Condillac reprend une mise en situation qu’avait proposée Pufendorf dès le dernier tiers du x (...) « Je suppose que, quelque temps après le déluge, deux enfants de l’un et l’autre sexe, aient été égarés dans des déserts, avant qu’ils connussent l’usage d’aucun signe... 64  »
  • 65 Jean Dagen , Histoire de l’esprit humain dans la pensée française de Fontenelle à Condorcet, Paris, (...)

44 L’événement clé au moment où ces deux enfants se retrouvent isolés, est l’invention des signes. La première manifestation de celle-ci relève de la gestuelle. Des gestes manifestent les expressions et les intentions. Ce langage d’action provient de l’urgence des besoins et de la recherche des satisfactions fondamentales de l’existence. Il associe des cris aux gestes. La familiarisation avec ces signes développe la mémoire des premiers êtres humains, et lentement, car non seulement le niveau d’intelligence reste faible mais aussi parce que l’organe de la parole était encore inflexible, ils étendent le répertoire des signes. Cette succession, signe faculté de l’esprit, sépare Condillac de ses prédécesseurs et surtout de Locke auquel il fut trop souvent comparé 65 . Tandis que le penseur anglais considérait le langage comme un moyen inventé pour communiquer des idées déjà formées, le penseur français envisage cette invention comme un moyen par lequel l’intelligence humaine commence à se former.

66 Condillac , op. cit., p. 118.

68 Ibid., p. 119.

45 La parole succède alors au langage d’action en en conservant néanmoins le caractère, de sorte que « pour tenir la place des mouvemens violens du corps, la voix s’éleva et s’abaissa par intervalles fort sensibles 66  ». L’usage des « grands intervalles » provient d’abord du fait que les organes encore rudes ne peuvent physiologiquement former de petits intervalles. De plus, les premiers êtres humains ressentent la nécessité naturelle de marquer leurs discours d’inflexions nettement différenciées et éprouvent des difficultés à inventer des nouveaux mots, ce qui les oblige à se servir des cris naturels qui « introduisent nécessairement l’usage des inflexions violentes, puisque différens sentimens ont pour signe le même son varié sur différens tons 67  ». Condillac s’interroge pour savoir si ce langage relève ou non du chant. Plutôt que de se référer à la musique dont les sons sont définissables harmoniquement, il préfère l’expression de « langue-prosodie ». Loin d’exclure la musique, cette expression montre que la langue-prosodie « participoit du chant 68  » dans la mesure où il ne suffirait aux musiciens que de quelques modifications pour en noter les intervalles.

70 Ibid., p. 151.

46 Les hommes disposent d’un langage à deux paramètres : le mode et le ton qu’il ne leur reste plus qu’à raffiner. Évidemment, le développement de l’invention du vocabulaire contribue à dissocier le chant de la prosodie, pour « les raisons qui l’en avoient fait approcher 69  ». La musique, à proprement parler, naît donc d’un choix de certaines formules prosodiques flatteuses pour l’oreille et que l’homme se complaisait à répéter. Si elle fut cultivée en ce temps d’établissement des sociétés, ce fut pour contenter des besoins, « pour faire connaître la religion, les lois et pour conserver le souvenir des grands hommes et des œuvres qu’ils avaient rendues à la société 70  ». En cela, elle fonctionne comme la poésie. Condillac ajoute un rôle supplémentaire à la musique : il la compare à la déclamation pour les langues modernes en ce qu’« elle apprenoit à régler la voix, au lieu qu’auparavant on la conduisoit au hasard 71  ». L’invention de l’écriture provoque un changement d’objet. La musique et la poésie ne se bornèrent quasiment qu’à la satisfaction des plaisirs. Cette nouvelle limite ou attribution contribua au perfectionnement rapide des arts puisqu’ils n’avaient de cesse de plaire. Définir techniquement la musique de ce temps de formation revient, pour Condillac, à déterminer si elle procédait diatoniquement ou harmoniquement. Poursuivant son approche sensualiste, il constate, se référant aux travaux de Jean-Philippe Rameau, que, puisque le principe harmonique relève de la résonance des corps, il s’ensuit que « les rapports des sons doivent être bien plus sensibles dans la succession harmonique », l’harmonie au sens moderne leur étant inconnue.

  • 72 La Divine Legation of Moses de Warburton (Londres, 1737-1741) avait été traduite en français sous (...)

47 L’ Essai sur l’origine des connaissances poursuit la lignée sensualiste qu’avait inaugurée Fontenelle au début du siècle et lui ajoute les théories originelles de l’anglais Warburton dont l’ Essai sur les hiéroglyphes se voulait également une étude de la formation des signes 72 . L’originalité du système de Condillac et sa force transparaissent dans l’effort pour prouver la continuité et la cohérence absolue de la formation de l’esprit. Son idée selon laquelle la connaissance de la nature humaine doit éclairer la façon dont les sociétés se sont formées et dont l’esprit humain a progressé, occupera une place de choix dans l’entreprise gigantesque qui vit le jour en 1751 : l’ Encyclopédie des arts et métiers.

  • 73 René Hubert , Les sciences sociales dans l’Encyclopédie. La philosophie de l’histoire et le problèm (...)

48 Le problème des origines est une des questions fondamentales de l’ Encyclopédie  : il domine même toutes les recherches relatives aux modalités particulières de la vie sociale 73 . Tout devient objet de développement de théories génétiques : l’éloquence, la religion, les arts, etc. La méthode mêle étroitement, à la manière de Condillac, histoire et justification logique ; situation qui n’est pas exempte de malentendus. Effectivement, les philosophes de l’ Encyclopédie confondirent souvent deux problèmes qu’il eût fallu traiter isolément selon des méthodes différentes. Le premier de ces problèmes est le fondement de la société, objet d’éthique sujet à des spéculations rationnelles ; le second, l’origine historique de la société, qui réclame une prospection expérimentale et qui fut, en l’occurrence, abordé selon la méthode mise en œuvre quelques années plus tôt par Condillac.

49 Louis de Cahusac reprend le schéma de l’ Essai sur l’origine des connaissances lorsqu’il note à l’article « Geste » que la parole ne constitue qu’une étape dans l’évolution de l’expression des émotions. Un langage gestuel précéda le langage sonore :

74 Louis de Cahusac , « Geste », Encyclopédie, Paris, 1757, t. VII. « L’homme a senti dès qu’il a respiré, et les sons de sa voix, les mouvemens divers du visage et du corps, ont été les expressions de ce qu’il a senti, ils furent la langue primitive de l’univers au berceau ; ils le sont encore de tous les hommes dans leur enfance. 74  »

50 Dans l’article « Chant », le même auteur indique que le chant, forme première de la musique, a été produit spontanément par le simple exercice des organes de la voix, à l’imitation des bruits naturels. Rousseau est du même avis :

75 Jean-Jacques Rousseau , « Musique », Encyclopédie, Paris, 1765, t. X. « Il paraît que la musique a été un des premiers arts. Il est aussi très vraisemblable que la musique vocale a été trouvée avant l’instrumentale. 75  »

51 Il précise alors que les hommes ont imité les oiseaux.

52 Cahusac ne clarifie pas le passage du langage gestuel au langage musical ou plutôt au langage « modulé ». Ce dernier, plus voisin de l’expression primitive, dut précéder le langage articulé et il faut l’assimiler au chant naturel :

76 Louis de Cahusac , « Chant », Encyclopédie, Paris, 1753, t. III. « L’un (modulé) fut l’ouvrage de l’instinct, l’autre fut une suite des opérations de l’esprit... Cette espèce de langage, qui est de tous les pays, est aussi entendu par tous les hommes, parce qu’il est celui de la nature. 76  »

53 Ce chant constitue le premier moyen employé par l’homme pour exprimer oralement ses émotions. Plus tard, il servit à la célébration des actions de grâce en l’honneur de la divinité. Il fit finalement partie des fêtes, comme Rousseau l’indique :

77 Ibid. « Les Anciens n’avoient point encore l’usage des lettres, qu’ils avoient celui des chansons : leurs lois et leurs histoires, les louanges des dieux et des grands hommes furent chantées avant que d’être écrites. 77  »

54 Trois points particulièrement importants ressortent de ces réflexions. D’abord, la musique naît de l’instinct naturel d’imitation. Puis, comme tous les arts d’expression procèdent du même principe d’imitation, il s’ensuit que le chant primitif, ainsi que la danse sont à l’origine des autres arts. Troisièmement, l’influence attribuée aux croyances et aux sentiments religieux paraît prépondérante pour la formation de cet art premier. Il ne s’agit pas d’assigner aux arts une origine proprement religieuse, mais de prouver que leur emploi fut naturel dans les manifestations cultuelles. Le moyen d’éviter un recours à la volonté divine s’exprime par la théorie du besoin : l’origine de l’art et donc du langage « modulé » répond à des besoins.

55 L’invention du langage articulé modifie les paramètres évolutifs de cette phase embryonnaire. Le plus important de ceux-ci est lié à la formation des sociétés. Le plaisir intervient. De même, le chant avec paroles oriente l’art vers un nouveau raffinement :

78 Ibid. « Le mot peignant seul l’affection qu’on veut exprimer, l’inflexion devient par-là moins nécessaire, et il semble que sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, la nature se repose lorsque l’art agit. 78  »

56 Semblable réflexion reste floue. Avancer que « la plupart de nos inventions sont l’ouvrage non d’un homme, mais des hommes » est parfois vrai. Néanmoins, la négligence des faits connus relève de l’intention première des Encyclopédistes, à savoir, constituer une doctrine. Le non-recours aux travaux d’érudition et l’établissement d’un discours coordonné leur évitent l’ennuyeuse et même aride exposition des faits. Une assertion générale conditionne ce détournement devant l’histoire événementielle : la réduction aux phénomènes naturels des phénomènes humains, ou autrement dit, les montrer à la fois dépendant de la nature humaine et soumis aux lois de la nature universelle. L’homme sent en lui ce besoin d’exprimer ses émotions, et il le fait dans les limites assignées par son développement physiologique et en puisant des éléments dans la nature.

79 Louis de Cahusac , « Ballet », Encyclopédie, Paris, 1752, t. II.

57 Jusqu’à présent, la théorie génétique de la musique exposée dans l’ Encyclopédie, principalement par Cahusac, n’offrait aucune vue fondamentalement neuve. Elle perfectionnait certains aspects du système de l’ Essai sur l’origine des connaissances. Où les Encyclopédistes innovent, c’est lorsqu’ils pénètrent l’histoire de la civilisation. Évidemment, à ce stade de l’évolution de l’esprit humain, la musique et le langage parlé avaient été formés. Tandis que la plupart des écrivains et théoriciens précédents s’orientaient directement vers la Grèce antique sans tâcher d’établir un lien entre leurs hypothèses originelles et les premiers vestiges des civilisations connues, ou se tournaient vers les récits mythiques et bibliques, les Encyclopédistes tentèrent une nouvelle voie transitoire : l’Égypte. Ce n’était pas nouveau excepté que cette civilisation n’avait jusqu’alors été perçue que comme la patrie de Moïse. Pour Diderot, Cahusac, Jaucourt et la plupart des autres collaborateurs de l’Encyclopédie, le peuple égyptien est un des peuples issus de la dispersion de l’espèce humaine. Peu importe comment. L’unanimité règne pour attribuer aux Égyptiens la fondation des beaux-arts. Sans donner de détails, car « leur origine se perd dans l’antiquité la plus reculée 79  », Cahusac insiste sur leur rôle, notamment pour la danse :

80 Ibid. « Les Égyptiens firent les premiers de leurs danses des hiéroglyphes d’action... Sur une musique de caractère, ils composèrent des danses sublimes. 80  »

58 Par recoupement, puisque rien n’est clairement expliqué à propos de la musique, et que la musique est support de la danse, il s’ensuit que c’est là que l’art musical a pris racine pour s’étendre aux autres contrées.

59 Une fois encore, sans se soucier des données historiques, les Encyclopédistes bâtissent un système théorique pour des raisons cette fois-ci plus idéologiques que rationnelles. Avant toute chose, il y a leur volonté de nier le miracle juif. Replacer au Proche-Orient la création ou le perfectionnement premier des arts et de la musique aurait entraîné à suivre la Bible et à considérer le peuple juif comme créateur. Le choix d’un peuple, d’une civilisation se rattache aussi à leur élaboration d’une théorie monogénétique qui sous-entend l’unité d’origine de la culture universelle. S’ils ne se justifièrent pas pour la musique, il n’en demeure pas moins qu’ils élaborèrent, pour certains arts, des réseaux de transmission des connaissances et des pratiques, de l’Égypte à la Chine, par exemple.

60 La réunion des deux idées maîtresses des origines de la musique telles qu’elles sont développées dans l’ Encyclopédie ouvre la voie à une réflexion plus cohérente que ce qu’elle avait été jusqu’alors. Il devient possible de suivre le chemin parcouru depuis les fondements naturels du musical et leur première perception au sein d’une société humaine, jusqu’à l’élaboration d’un art musical dans le cadre de la première civilisation humaine.

81 Jean le Rond d’Alembert , « Discours préliminaire », Encyclopédie, Paris, 1751, p. XII.

61 L’ Encyclopédie et surtout son « Discours préliminaire » permettent à Jean le Rond d’Alembert d’évoquer le problème des origines de la musique. Si ses préoccupations majeures s’orientaient plus vers l’élaboration de la théorie des principes de l’harmonie, il reste qu’il a énoncé quelques avis sur la formation du langage musical. « La musique qui ne peint rien n’est que du bruit 81  », écrit-il dans son discours, se rattache au courant commun de l’esthétique française de la première moitié du xviii e  siècle. De là à avancer que la musique a pour modèle les cris, les chants des oiseaux, et les bruits naturels, il n’y a qu’un pas. Si l’homme a pu imiter ces éléments, c’est suivant une évolution de la perception de ses sensations.

  • 82 Maurice Barthelemy , « Essai sur la position de D’Alembert dans la Querelle des Bouffons », Recherc (...)

62 Le donné pour d’Alembert correspond à l’ensemble des sensations qui contiennent le principe de toute connaissance. La seule réflexion sur cet ensemble suffit à bâtir n’importe quelle science ou n’importe quel art. Elle s’effectue en trois étapes : prise de conscience, d’abord, par l’homme de son existence, ensuite de son corps et finalement des objets extérieurs à son corps. L’homme, réalisant l’existence d’êtres semblables non seulement par la constitution mais aussi par les besoins, ressent la nécessité d’inventer des signes afin de véhiculer la communication de ses idées. C’est ici que d’Alembert se distancie des postulats de Condillac. Avancer que « le fruit des réflexions que les hommes ont faites sur la génération de leurs idées » est l’invention des signes, revient à renverser les démarches de l’ Essai sur l’origine des connaissances. L’homme élabore en lui l’idée d’une expression sonore, tandis que Condillac affirmait que l’expression sonore éveillait des facultés intellectuelles et ouvrait au monde des idées. Dans les Réflexions sur la musique en général et sur la musique française en particulier qui paraît anonymement en 1754 82 , d’Alembert définit un langage originel dont les signes avaient la forme des sons qui éveillaient telle idée ou tel sentiment. La valeur sémantique des expressions sonores résulte de conventions ; chacun de ces sons n’ayant rien en lui qui le rendit signe d’une idée plutôt que de telle autre. L’idée de mesure entraîne ce langage sonore vers une nouvelle direction parallèle à celle de la langue. D’Alembert insiste sur cette connivence entre expression musicale et expression verbale parce qu’elle conduit à une organisation des signes :

83 Jean Le Rond d’Alembert , Eclaircissements, dans Œuvres complètes, Paris, vol. IX, p. 244. « J’imagine que la peinture (musicale) du lever du soleil paraîtrait nulle à un peuple dont la langue n’admettrait pas ces façons de parler. 83  »

63 L’ Histoire générale, critique et philologique de la musique (Paris, 1767) de Charles Henri de Blainville peut, sur la question des origines de la musique, être considérée comme un sous-produit de l’ Encyclopédie. L’auteur n’a, semble-t-il, pas perçu les intentions des Encyclopédistes et a tâché d’intégrer leurs avis dans un schéma traditionnel, sans arrière-pensée idéologique ou même religieuse. Le concours de plusieurs causes et l’effet du hasard sont à la base de l’imitation et de la « production artificielle » des sons contenus dans la nature. Plus loin, reprenant la supposition émise par Condillac, il va élargir l’ensemble des facteurs responsables de l’origine de la musique :

84 Charles-Henri Blainville , Histoire générale, critique et philologique de la musique, Paris, 1767, (...) « Ne supposons même sur la terre aucun des hommes qui l’habitent, n’y laissons que leurs enfans, sans instructions & sans connoissances. Je soutiens que, tant par nécessité que par hasard & par usage, ils viendront à bout d’inventer, avec le temps, toutes les choses nécessaires, soit pour la vie, soit pour les plaisirs. 84  »

64 Ayant défini les facteurs, Blainville en donne trois exemples : l’imitation de « l’haleine des vents, & le souffle de certains animaux », l’amusement recherché par les oisifs et les idées suscitées par le choc des corps. Le point le plus particulier du chapitre sur les origines dans cet ouvrage se situe dans la liaison de l’invention d’instruments de musique à ces facteurs. Ainsi, par exemple, le premier donne l’idée des flûtes tandis que le troisième suscite l’invention de percussions.

85 Ibid., p. V.

65 L’homme, précise Blainville, parvint à un niveau de connaissance assez élevé, ainsi que l’enseigne la Bible. Cependant, le Déluge allait tout détruire. L’Égypte devint le foyer de la renaissance. Le musicien n’y imite pas seulement les sentiments champêtres qu’il éprouvait jadis, il suit la poésie de sorte que la musique « prit ton convenable, soit aux Hymnes, soit aux Cantiques ; genre de Musique qui fut la même sans doute parmi les Hébreux » 85 . Blainville ajoute encore une phrase qui montre son incompréhension totale des théories originelles les plus neuves :

86 Ibid. « C’est donc véritablement aux temps des Egyptiens qu’on peut placer la première époque de la Musique, puisque c’est à Mercure à qui on attribue l’invention de la lyre, ainsi que du premier Tétracorde. 86  »

66 Les relations de causalité, assez incompréhensibles, la recherche d’une conciliation vaille que vaille entre une théorie imitative et le récit biblique illustrent l’état des réflexions sur les origines de la musique dans la plupart des ouvrages théoriques sur la musique édités dans le deuxième tiers du siècle. Il semble même qu’il y ait un certain dédain de la part de ces théoriciens devenus historiens le temps d’une préface ou d’une introduction, à l’égard de ces questions dans lesquelles se débattent les savants et les philosophes. Le « Qu’importe qu’aient été les premiers Instrumens qu’inventa Jubal » est symptomatique d’une nouvelle rupture. Tandis que certains cherchent à approfondir des points obscurs d’un passé lointain, d’autres prétendent n’y voir aucun intérêt puisque les systèmes d’alors diffèrent totalement de ceux qu’ils connaissent au xviii e  siècle.

  • 87 Anne-Gabriel Meusnier de Querlon , « Mémoire historique sur la chanson en général, et en particulie (...)

67 Un exemple de compilation à la manière de Blainville a été réalisée en 1765 par Meusnier de Querlon en introduction à un ouvrage réalisé par Jean Monnet 87 . On trouve dans son texte un amalgame bref et sans justifications du principe d’imitation, de la notion d’expression des sentiments et de situation sociologique dans un monde bucolique. Son survol du problème transparaît dès le ton de la première page :

88 Ibid., p. 1. « La chanson est évidemment la première & la plus ancienne Poésie. 88  »

68 La chanson naît de la conjonction de deux facteurs inhérents à la nature humaine même s’ils surgissent « malgré nous ». Le premier relève de la physiologie et du caractère de l’homme qui tend à exprimer « soit par les accens de la voix, soit par les mouvemens du corps » la joie et la douleur. Cette expression s’effectue par l’imitation, parce que l’homme est « l’animal de tous le plus imitateur », des « accens » des oiseaux.

89 Ce récit est un lieu commun des héroïnes du théâtre ou de l’histoire d’Anacréon.

69 Deux points méritent d’être soulignés. D’abord, l’usage du terme accent tant pour l’homme primitif que pour l’oiseau. Meusnier de Querlon n’explique pas ce qu’il signifie par là ; néanmoins, il n’attribue pas aux oiseaux la qualité de chanter. Ensuite, son choix des sentiments qui suscitent des expressions vocales et gestuelles sort partiellement de l’ordinaire. Effectivement, s’il voit dans l’amour la première source d’inspiration des chants, il attribue une place importante au vin 89  :

90 Ibid., p. 3. « Le Vin a fait aussi plus de Chansonniers que toutes les eaux de l’Hipocrène. 90  »

91 Ibid., p. 5.

70 S’inspirant de Fontenelle, il situe ces débuts de l’art au moment où l’homme vivait « à la condition pastorale, la plus ancienne parmi les hommes 91  ». L’homme entretenait alors des rapports étroits avec la nature, lieu idéal d’inspiration. S’il fallait définir l’attitude de Meusnier de Querlon, il faudrait l’associer à ces historiens qui n’ont que faire des théories originelles et qui puisent çà et là des idées qu’il suffit de relier, sans insister, pour fournir – c’est son but –, une préface à une histoire de la chanson.

  • 92 Dard , Origine et progression de la musique, suivies du parallèle de Lully et de Rameau, Paris, 1769

93 Ibid., p. 1.

71 Tandis que Charles-Henri de Blainville essayait de rendre compte des dernières découvertes dans le domaine des origines de la musique, Dard évite d’en parler et se justifie 92 . Son scepticisme prend sa source dans les spéculations historiques chimériques à tel point que « peu s’en faut qu’on ne lui (la musique) donne une origine plus ancienne que le monde 93  ». La recherche d’un état originel provient, assure-t-il, d’une tendance typique de l’homme à déifier ses goûts et ses passions. Il suffit de se reporter à toutes les fables que chaque nation a créées. Cela n’empêche que si les effets merveilleux qu’on attribue à la musique des anciens sont des fantasmes, la musique conserve des qualités inégalables.

94 Ibid., p. 3.

72 Fabulation, déification ne sont pas les seules raisons évoquées par Dard. Parce que « les arts qui naissent sont longtemps enveloppés des vestiges de l’ignorance & de la barbarie 94   », il y a peu d’intérêt à se passionner pour une musique dont non seulement il ne reste aucun vestige mais qui, de plus, ne possède pas des caractéristiques dignes d’attention. Aussi, Dard commence-t-il son histoire de la musique par celle des Grecs :

95 Ibid., p. 2. « Les Égyptiens, les Chaldéens, les Chinois, les Bactriens, les Phéniciens, veulent s’attribuer chacun en particulier le mérite de l’avoir cultivée dans sa naissance ; mais quoiqu’ils soient tous plus anciens que les Grecs, nous la rapporterons cependant à ces derniers. 95  »

96 Ibid., p. 20 .

73 Chaque fois qu’il évoque les débuts de la musique, il le fait en des termes prudents. S’il affirme que les instruments ont servi à l’établissement de la musique et contribué à ses progrès, il n’en demeure pas moins qu’il a vainement « tenté de trouver des faits qui puissent constater leur invention & leurs inventeurs. 96  »

  • 97 Karin Pendle , « Les philosophes and opéra-comique : The Case of Grétry’s Lucile », The Music Revie (...)

74 L’attitude de Dard n’a rien en commun avec la tendance illustrée par Blainville. Si cette dernière se devait de clarifier le problème des origines, Dard préfère passer outre, et surtout, car c’est cela aussi qu’il vise indirectement, ne pas s’adonner aux fantaisies de certains philosophes et historiens qui se plaisent à créer un état originel dont on ne peut rien savoir. Il reste que Dard introduit dans ses justifications un facteur que les esthéticiens avaient tenté de dissocier des récits historiques : la relativité du goût. Ce n’est pas parce que la musique des premiers temps ne répond en rien aux canons appréciés au xviii e  siècle ou même au xvii e  siècle qu’elle mérite d’être rejetée. Il est étonnant qu’en 1769 un écrivain ne tienne pas compte de ce principe fondamental. Sans doute faut-il en rechercher la cause dans ce parti pris, qui n’est pas isolé à la fin des années 1760 – et il suffit de se référer aux critiques des livrets d’opéras 97 – d’anti-philosophisme : ce qui intéresse est ce qui plaît, ce qui peut trouver place dans la société actuelle.

75 On ne peut pas dire que les théories de Dard firent fortune dans la seconde moitié du xviii e  siècle même si elles se rattachent à un mouvement général. L’histoire de la musique, et particulièrement de ses origines, reste l’apanage ou des philosophes ou des historiens, ce terme incluant les amateurs passionnés d’histoire et les musiciens en quête d’une compréhension chronologique du phénomène musical.

76 La tradition mythistorique qu’avait illustrée l’ Histoire de la musique et de ses effets de Bonnet-Bourdelot connût, aussi paradoxal que cela puisse paraître, un renouveau dans la seconde moitié du xviii e  siècle dans l’ Histoire de la musique (c. 1754) de Dom Caffiaux et, en 1780, dans l’ Essai sur la musique de Laborde. Ces deux volumineux ouvrages avaient été précédés de la Lettre sur la Musique ancienne & moderne de Saunier de Beaumont, publiée à Paris en 1743, véritable plagiat de Bonnet-Bourdelot, d’ailleurs abondamment cité. Les écrits manuscrits de Dom Caffiaux ont plus d’intérêt, d’abord parce qu’ils renferment une foule de renseignements mais aussi parce que l’auteur s’était fixé comme objectif la rectification des erreurs commises par Bonnet-Bourdelot.

77 Le problème des origines se trouve résolu rapidement par le bénédictin :

98 Dom Caffiaux , Histoire de la musique, Paris, B.N., ms.fr. 22357, f° 565’. « Il est certain que Dieu, auteur de tous les arts et de toutes les Sciences, doit être l’auteur de la musique, que nous avons fait considérer comme le premier et le plus intéressant de tous les arts. Il ne reste donc qu’à savoir à qui le dispensateur de tout bien a voulu la communiquer le premier. 98  »

99 Ibid., f° 69.

  • 100 Yves-Marie André , Essai sur le Beau où l’on examine en quoi consiste précisément le Beau dans le p (...)

101 Dom Caffiaux , op. cit., f° 566’.

78 Comme il trouve dans la Genèse qu’Adam parlait, il en déduit qu’il était musicien car « la parole n’est qu’un son articulé d’un instrument sonore que l’auteur de la nature a mis en nous 99  ». La place de Jubal se réduit à celle d’inventeur d’un instrument de musique. L’explication du phénomène qui donna l’idée à Adam de faire de la musique, puise ses fondements dans les théories métaphysiques du beau du Père André 100 . Sans appliquer rigoureusement les classifications de « Beau essentiel », de « Beau naturel » et de « Beau d’institution », Dom Caffiaux n’en tente pas moins de construire un schéma assez identique. Le premier homme, Adam, a été sensible aux sons de la nature, de sorte qu’il voulut les imiter ou « peut-être même que les divers sons que la nature faisoit retentir de toutes parts pouvoient-ils lui faire naître l’idée de réduire en art, et de transmettre à la postérité une science dont il avoit apporté les premiers principes en voyant le jour 101  ». Si le recours aux théories du Père André se conçoit encore, au milieu du xviii e  siècle, comme un fondement de choix pour une élaboration d’une philosophie de l’histoire – et cette influence transparaissait aussi dans les écrits de Rameau –, il semble paradoxal d’associer, dans un même ouvrage, plusieurs théories originelles. Dom Caffiaux procède de la sorte. Dans son premier livre, « Histoire de la musique depuis la Naissance du monde jusqu’à la prise de Troye », les références aux mythologies grecques, égyptiennes abondent et introduisent de nouvelles interprétations des origines de la musique bien qu’il ait prévenu le lecteur du peu de fiabilité de ces récits. Le mauriste, malgré des connaissances encyclopédiques qui transparaissent au travers de l’appareil critique de son Histoire, adopte finalement une attitude assez similaire à celle de Bonnet-Bourdelot. Convaincu de la valeur unique du message biblique, il n’ose pas pour autant rejeter toutes les tentatives d’explications élaborées par les différents peuples.

79 Laborde se donnait pour tâche une compilation semblable par ses intentions à celle de Bonnet-Bourdelot ou de Dom Caffiaux :

102 Jean-Benjamin de Laborde , Essai sur la musique ancienne et moderne, Paris, 1780, p. V. « Nous n’avons eu d’autre projet que celui de rassembler dans un seul ouvrage, presque tout ce qui nous a paru écrit de bon sur la Musique, dans plusieurs milliers de volumes . 102  »

80 Ainsi exprimée, l’optique de l’Essai sur la musique ancienne et moderne ne peut laisser présager une vision neuve des origines de la musique. Du même ton catégorique que celui que prenait Dom Caffiaux, Laborde avance :

103 Ibid.,p.  1. « La Musique ayant eu pour premier objet les louanges de la Divinité, doit être aussi ancienne que les hommes. 103  »

81 Bien qu’il veuille chercher « comment elle fut trouvée », il ne fait qu’affirmer encore des origines divines. Il s’appuie sur un jugement de valeur des autres théories émises :

  • Prétendre comme Caméléon Pontique que la musique est issue du chant des oiseaux est une « opinion extravagante ».
  • La voir comme une imitation du son des vents, à la manière de Lucrèce, relève du « plus de vraissemblance ».
  • Au contraire, faire des analogies avec l’ondoyement des eaux, tel Zarlino, est aussi extravagant que l’associer au chant des oiseaux.

82 Il est difficile de justifier semblable attitude en 1780, surtout de la part d’un homme qui revendiquait la lecture de plus de mille ouvrages ! Elle ne s’explique pas non plus par un engagement religieux ou philosophique, comme ce fut le cas pour Dom Caffiaux. Laborde paraît se désintéresser du problème et négligeait volontairement les progrès effectués en historiographie musicale depuis Bonnet-Bourdelot, tandis que Blainville, par exemple, n’effectuait qu’une synthèse des dernières théories. Son rejet évident des théories imitatives pourrait être le résultat d’une influence des traités d’esthétique musicale où la notion était remise en cause.

4. THÉORIES RAMISTES ET ROUSSEAUISTES

83 C’est après 1750, après qu’il a reçu l’approbation de l’Académie Royale des Sciences pour ses travaux, que Jean-Philippe Rameau décide d’aborder la musique d’un point de vue philosophique et esthétique :

104 Jean-Philippe Rameau , Démonstration du principe de l’harmonie, Paris, 1750, p. VI. « C’est dans la Musique que la nature semble nous assigner le principe phisique de ces premières notions purement Mathématiques sur lesquelles roulent toutes les sciences, je veux dire les proportions, Harmonique, Arithmétique et Géométrique, d’où suivent les progressions de même genre, et qui se manifestent au premier instant que résonne un corps sonore. 104  »

84 Si les sciences découlent des principes de la musique, il devient primordial d’en rechercher les origines et leur fonctionnement originel. Pourtant Rameau attendra la fin des années 1750 pour développer les principes qu’il avait énoncés dans la préface de sa Démonstration du principe de l’harmonie (1750) et que venait d’illustrer l’architecte et esthéticien Charles Briseux dans son Traité du beau essentiel appliqué particulièrement à l’architecture (1752).

85 Le Code de musique pratique (1760) marque l’orientation des recherches entreprises par Rameau durant les quatre dernières années de sa vie. Il veut y démontrer que la nature a donné à l’homme le sens de l’harmonie, mais qu’il l’utilise sans la savoir, en s’acharnant parfois à la nier. De 1760 à 1764, Rameau va s’efforcer d’étayer son assertion en tentant de répondre à une question primordiale : comment les premiers hommes ont-ils découvert les lois de la musique ? Il y a d’abord son rejet des théories qui n’envisagent pas l’homme tel qu’il est :

105 Jean-Philippe Rameau , Nouvelles réflexions de M. Rameau sur sa « Démonstration du principe de l’ha (...) « En attribuant la science infuse à Adam, comme quelques-uns l’ont fait, tout est dit : mais considérons l’homme tel que nous pouvons le concevoir ; voyons-le tomber des nues avec sa compagne sur une terre inculte, où tout n’offre à ses yeux que confusion, de quelque côté qu’il regarde ; imaginons-le d’ailleurs plein d’esprit ; d’imagination & de jugement : son premier soin sera sans doute de chercher à s’instruire : du moins pour subvenir à ses besoins. 105  »

86 L’homme met en œuvre ses capacités de réflexion pour mettre de l’ordre dans la nature qui s’offre à lui ; ordre nécessaire à sa survie et qui impose un moyen de communication. La procédure s’articule en deux étapes successives. D’abord une découverte empirique d’un phénomène et ensuite la formulation de ses principes. La musique est donc révélée à l’homme par étapes ainsi que le sont toutes les autres disciplines scientifiques. Cette analogie de processus perceptif permet à Rameau de consolider sa considération de la musique en tant que science physicomathématique.

87 Pourtant, Rameau ne peut pas se contenter de définir la découverte empirique sous la forme d’une perception des moyens d’expression des passions. Prise de position qui le gêne puisqu’il ne saura comment traiter la voix : émission sonore ou traduction physique des passions. En fait, son intention est de prouver que son système musical existe à l’état latent dans le monde physique. Autrement dit, lorsqu’il s’est agi de la création du musical, l’homme n’a dû que se rendre compte de la construction « naturelle » de ce phénomène, sans nécessité de bâtir un schéma de réflexion. La faculté unique à laquelle recourt l’homme est l’ouïe ; sens en éveil dès l’enfance et bien avant tous les autres :

106 Ibid., p. 93. « Quels autres effets que ceux de la Musique peuvent occasionner en nous des sensations capables d’y faire naître des idées propres à la Géométrie ? Pour quelle raison la Nature nous auroit-elle prévenus en faveur de cet art dès l’enfance, pendant qu’il y règne encore une entière indifférence par tout ce qu’elle offre à nos yeux   ? 106  »

88 L’audition guide l’homme pour la perception du phénomène de résonance inscrit dans la nature. Ainsi va-t-il percevoir les rapports d’octave, de quinte par l’ouïe qu’il ne visualisera qu’après l’audition. De cette manière, Rameau établit une hiérarchie des sens en faisant prévaloir l’ouïe ; preuve de son assertion de sa Démonstration du principe de l’harmonie.

107 Ibid., p. 216.

89 Il reste à Rameau à expliquer comment le premier homme, perdu devant la nature mais pourvu du sens de l’ouïe, a réagi. L’homme entend des bruits autour de lui mais aussi les sons émis par son « alter ego » pour communiquer. Ce langage originel fonctionnait par gestes et inflexions vocales qui avaient l’avantage, par rapport au discours suivi, de produire un grand nombre de sons consonants « dont il suffit d’être une fois frappé, pour que le plaisir qu’on en éprouve engage à le répéter 107  ». L’homme réagit de la même manière face aux sons extérieurs. Le hasard le met en contact avec des consonances qui lui procurent un plaisir qu’il veut répéter. Rameau répond ainsi à Rousseau qui, dans l’article « consonance » de L’Encyclopédie avait écrit :

108 Jean-Jacques Rousseau , « Consonance », Encyclopédie, Paris, 1754, t. IV. « La considération des rapports est tout à fait illusoire pour rendre raison du plaisir que nous font les accords consonans. La considération des rapports n’est pas moins inutile dans la théorie de la musique. 108  »

90 Rameau tente d’aller plus loin encore et cherche à montrer que la nature humaine elle-même serait à l’origine de la musique, en prenant comme preuve la « fantaisie de chanter ». Quant à savoir qui est ce premier homme qui commença à chanter, par fantaisie ou par plaisir des consonances, cela importe peu ; alors, autant s’inspirer de la Bible :

109 Jean-Philippe Rameau , op. cit., p. 216-217. « Jubal, à qui l’on attribue l’invention des Instrumens, ne l’a pû faire sans avoir une juste idée d’un parfait rapport entre les intervalles qui formoient ces Instrumens. Adam n’est mort que 56 ans avant la naissance de Lamech, père de Jubal ; donc celui-ci peut avoir vû Adam ; donc ce dernier, ou du moins l’un de ses descendans avant Jubal, a pû chanter le premier. Mettons que ce soit Jubal même, n’importe. 109  »

110 Jean-Philippe Rameau , Lettre de M*** à M***, Paris, 1762, p. 6.

  • 111 Philippe Lescat , « Conclusion sur l’origine des sciences. Un texte méconnu de Jean-Philippe Ramea (...)

91 Dans la Lettre de M *** à M *** (1762), Rameau considère cet état primitif comme particulièrement propice à la prise de conscience de la présence de la résonance du corps sonore dans la nature, car l’homme « cédoit à des impressions plus vives & plus vraies 110  ». Le compositeur ne veut pas prendre un ton nostalgique, ni même proposer une résurrection de cet état, mais justifier par l’histoire, du moins son histoire, le fondement naturel de son système musical. Prétendre que l’homme possédait dès le début la connaissance du fonctionnement de la musique et était plus apte que les gens du xviii e  siècle à en percevoir les origines naturelles confirme Rameau dans sa conviction que la musique est source des autres sciences 111 .

  • 112 Anne-Marie Chouillet a brillamment montré les différentes étapes de la scission de Rameau avec le (...)

92 L’attitude de Rameau diffère de celle développée par Fontenelle, Condillac et surtout Rousseau 112 . Le théoricien-compositeur se refuse, parce que cela pertuberait son schéma, de recourir à une théorie des signes. Elle aurait supposé une interprétation de la nature alors qu’il soutient que la musique est l’expression directe du principe de la résonance. L’homme est un « corps passivement harmonique » qui, à un moment donné, laisse éclore sa latence musicale. En écartant la liaison au langage, Rameau diffère de ses contemporains et prédécesseurs. L’origine de la musique résulte d’une combinaison de contingences et d’occasions. La cause importe peu – ce fut le langage mais c’eut pu être autre chose –, pourvu qu’elle remplisse la condition obligatoire de l’expérience d’audition harmonique.

  • 113 C’est à une conclusion assez identique qu’aboutit Herbert Schneider dans son étude du dernier trai (...)
  • 114 Voir Catherine Kintzler , « Rameau : le sujet de la science et le sujet de l’art à l’âge classique  (...)

93 Les théories génétiques de Rameau datent des dernières années de sa vie, cela a été dit. Mais son intention était-elle uniquement de prouver le fondement naturel de son système en recourant à l’histoire ou n’était-il pas plutôt ce qu’écrivit un collaborateur de la Correspondance littéraire du 15 novembre 1764, à savoir « prouver évidemment l’existence de la Très-sainte Trinité par le moyen de son principe de l’harmonie » ? Les deux solutions sont possibles. Ou Rameau persiste dans ses principes et cherche des arguments pour étayer sa thèse ou bien, se rattachant, sans le savoir, aux écrits de René Ouvrard, s’inscrit-il dans le courant illustré par Malebranche 113  ? La seconde solution correspond assez à l’esprit d’un homme né en 1683 et qui finit sa carrière d’écrivain par un appel au Créateur 114  :

115 Jean-Philippe Rameau , Origine des sciences, Paris, 1762, p. 8. « Effectivement, puisque tout ce qui existe dans l’univers tient à des rapports infinis, la science des rapports est à la fois celle du Créateur et celle de l’homme, avec cette différence que l’Auteur de l’Univers voit tous les rapports possibles dans un seul et unique point. 115  »

94 A l’appui de cette solution, on peut invoquer des traités sur le « beau essentiel» publiés entre 1700 et 1740, tels ceux de Castel ou du Père André. Rameau n’a-t-il pas également développé des théories analogiques entre proportions harmoniques et proportions architecturales avec l’aide de Briseux et comme l’avaient fait René Ouvrard et Blondel plus d’un demi-siècle auparavant, en se référant au principe de reflet d’une harmonie divine ?

  • 116 Marie-Elisabeth Duchez ,« Principe de la mélodie et Origine des langues. Un brouillon inédit de Je (...)
  • 117 Catherine Kintzler , Jean-Philippe Rameau. Splendeur et naufrage de l’esthétique du plaisir à l’âge (...)

95 Le rôle de Jean-Jacques Rousseau dans l’élaboration de théories génétiques de la musique a déjà fait l’objet de plusieurs études qui montrent son importance dans le devenir des philosophies de l’histoire durant le dernier tiers du xviii e  siècle 116 . La clarification de la chronologie des œuvres de Rousseau ayant trait à l’histoire de la musique joue un grand rôle pour la perception de l’évolution des idées de l’écrivain. La place de l’analyse des théories rousseauistes après celles de Rameau se justifie par la position clé qu’elles occupent tandis que l’esthétique baroque vit, pour reprendre l’expression de Catherine Kintzler, son « naufrage » 117 . De plus, née des premières réflexions destinées à l’ Encyclopédie, mais aussi d’une volonté personnelle de répondre aux postulats ramistes et de justifier un engagement dans la Querelle des Bouffons, cette place ne pouvait être comprise sans l’exposé de ces étapes.

96 Le postulat rousseauiste, connu de tous, veut que la musique soit née de l’imitation des accents produits par l’expression immédiate des passions. Rousseau n’est pas parvenu, dès ses premiers écrits, à une telle formulation. Il lui a fallu en définir progressivement tous les termes, à savoir la notion d’imitation, la définition de l’accent par rapport à d’autres valeurs phoniques. La Lettre sur la musique française introduit, en 1753, au point le plus chaud de la Querelle des Bouffons, les deux concepts, d’une manière qui relève du sentimental et du polémique. Si son objet premier demeure de prouver la suprématie de la musique italienne sur la musique française, Rousseau n’en néglige pas pour autant des points d’esthétique générale, même s’ils s’attachent à l’argumentation polémique.

97 Le premier postulat fondamental concerne l’étroite dépendance de la musique par rapport à la langue :

118 Jean-Jacques Rousseau , Lettre sur la musique française, Paris, 1753, dans Ecrits sur la musique, P (...) « Si l’on demandait lequel de tous les peuples doit avoir la meilleure musique, je répondrais que c’est celui dont la langue y est la plus propre. 118  »

98 Il n’y a là rien d’étonnant dans une France qui s’interrogeait, depuis l’introduction de l’opéra, sur les rapports qu’entretiennent les deux moyens d’expression. Néanmoins, Rousseau pressent une formulation théorique de cette relation sur des bases nouvelles, lorsqu’il mentionne le rôle de l’accent dans la langue italienne. Toutefois, il n’insiste pas, le mettant sur le même pied que d’autres qualités, comme la douceur, la sonorité. Il avouera, dans une lettre de la Nouvelle Héloïse, qu’il était alors en période de gestation :

119 Jean-Jacques Rousseau , Nouvelle Héloïse, 1761, dans Œuvres complètes, Paris, 1964, vol. II, p. 131 « Je n’apercevais pas dans les accents de la mélodie appliqués à ceux de la langue, le lien puissant et secret des passions avec les sons : je ne voyais pas que l’imitation des tons divers dont les sentiments animent la voix parlante donne à son tour à la voix chantante le pouvoir d’agiter les cœurs. 119  »

99 Originale également est la nécessité de l’unité de mélodie :

120 Jean-Jacques Rousseau , Lettre sur la musique française, 1753, op. cit., p. 283. « Pour qu’une musique devienne intéressante... il faut qu’elle ne porte à la fois qu’une mélodie à l’oreille et qu’une idée à l’esprit. 120  »

100 La valeur de ce précepte, Rousseau en trouve la confirmation dans la musique italienne qui le suit fidèlement. L’incertitude de la pensée du théoricien transparaît dans l’imprécision des relations qu’il établit entre harmonie, mélodie et mesure. « Quoique le chant, écrit-il, tire son principe par caractère de la mesure,... il naît immédiatement de l’harmonie », et cela bien qu’il n’hésite pas à considérer l’harmonie une « mauvaise parure. »

121 Jean Starobinski , J.-J. Rousseau, la transparence et l’obstacle, Paris, 1971.

122 Victor Goldschmidt , Anthropologie et politique. Les principes du système de Rousseau, Paris, 1974.

  • 123 Jean-Jacques Rousseau , Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, A (...)

101 Avant de développer ses théories musicales, Rousseau avait besoin de poser le problème de l’origine du langage et de former l’hypothèse logique d’un état de nature originel, sans chant, ni langue ou société. Le Discours sur les Sciences et les Arts (1750) avait déjà illustré l’orientation de ses préoccupations sur la société et le langage. Surtout, Rousseau y déclarait le conflit de la nature et de l’histoire qu’il soutiendra dans ses essais ultérieurs sur la musique 121 . Il développe et cristallise les termes un peu confus du discours de Dijon dans le Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes (1754). L’anthropologie rousseauiste s’articule autour de deux états ; celui de nature et celui de société 122 . Le langage intervient dans son schéma par rapport à la société et encore il renonce à « la discussion de ce difficile problème, lequel des deux a été plus nécessaire de la Société déjà liée, à l’institution des langues, ou des langues déjà inventées à l’établissement de la Société 123  ». Alors que la première partie du second discours immobilise le temps dans un état de pure nature que Rousseau explique par l’ablation supposée de l’esprit, même s’il existe en puissance, la seconde partie de l’œuvre vit de mouvement, suivant une logique préconçue qui lui confère un aspect cohérent. Si Rousseau y renonce à situer exactement le moment de l’introduction du langage universel formé des cris de la nature, des inflexions de la voix et des bruits imitatifs et sa transformation, présentée dans l’énoncé grâce à la théorie des climats, en « langues particulières », sans doute faut-il y voir une conséquence de l’usage fréquent du hasard. Choix délibéré d’une intervention de la contingence qui permet à l’auteur de laisser le champ libre à d’innombrables possibilités.

124 Ibid., p. 132.

125 Ibid., p. 145.

126 Ibid., p. 151.

102 C’est ici plus qu’ailleurs que surgit la question des rapports de semblables conjectures à Dieu. « Écarter tous les faits 124  » recouvre plusieurs significations telle une distanciation par rapport à des éléments qui ne pourraient qu’encombrer la claire démarche de son discours. La Genèse ne relève pas de la même catégorie que les écrits des historiens et le danger d’en relater les épisodes réside dans l’introduction du miraculeux. L’apostrophe de Rousseau peut, d’un autre côté, être comprise comme l’illustration de sa volonté de ne pas faire œuvre d’historien – il avait confessé le caractère conjectural de ses théories –, mais de définir la nature des choses. La raison seule doit guider l’écrivain d’aujourd’hui. Surtout, il faut éviter de considérer les arts et les sciences comme des choses « qu’il a fallu faire enseigner par les dieux, faute de concevoir comment ils les auraient apprises d’eux-mêmes 125  » même si Rousseau avoue qu’il est « convaincu de l’impossibilité presque démontrée que les langues aient pu naître et s’établir par des moyens purement humain. 126  »

103 De 1756 à 1765, Jean-Jacques Rousseau rédige cinq ouvrages où il tentera d’éclairer sa théorie musicale qui peut, à présent, reposer sur un système cohérent, celui du second Discours : le fragment de l’Origine de la mélodie, L’Examen de deux Principes, l’ Essai sur l’origine des langues, les lettres 1-48 et 11-23 de la Nouvelle Héloïse et le Dictionnaire de musique. L’orientation, et c’était celle des discours de 1750 et 1753, reste fondamentalement généalogique. Elle tourne, par certains aspects, le dos à la tradition qui avait prévalu. Avant tout, il s’agit de déterminer ce que Rousseau rejette. Ses allusions à la peinture, dans l’ Examen et dans le fragment, sont révélatrices. Dans l’art pictural, les gens qui ne connaissent que la couleur, ne parviendront à le décrire que par des comparaisons de coloris. Introduire le dessin représenterait pour eux une atteinte au goût. Cependant, ces gens-là feraient tout pour réduire l’œuvre à leur point de vue ; autrement dit, assureraient que « pour bien philosopher il faut remonter aux causes physiques ». Rousseau se refuse à subir l’extansion du rationnalisme scientifique, atteignant la philosophie musicale de Rameau en son cœur. Le schéma dichotomique mélodie/harmonie – dessin/couleur apparaît comme un argument de poid.

104 La méthode à laquelle Rousseau s’attache pour décrire les origines de la langue dont il avait souligné les liens avec la musique, reste celle mise en œuvre pour la recherche des origines de l’inégalité : la création d’une conjecture hors du temps mais indispensable.

127 Ibid., p. 123. Sur les similitudes de méthodologie entre le Discours et l’Essai, voir Henri Grange , (...) « Ce n’est pas une légère entreprise de démêler ce qu’il y a d’originaire et d’artificiel dans la nature actuelle de l’homme, et de bien connaître un état qui n’existe plus, qui n’a peut-être point existé, qui probablement n’existera jamais, et dont il est pourtant nécessaire d’avoir des notions justes pour bien juger de notre état présent. 127  »

105 La Lettre sur la musique française avait insisté sur la mélodie. Les écrits postérieurs se voudront une définition de la nature de la mélodie, en créant son état premier, hypothétique.

106 Rousseau se doit d’abord de régler les rapports entre musique et langage. Il part de l’analogie du système imitatif de la peinture avec celui de la musique. Le premier s’élève au rang d’art grâce à l’imitation qui s’effectue par le dessin. Or l’équivalent musical du dessin est la mélodie. La nature mimétique de la mélodie est définie par son attitude devant les inflexions vocales produites par les passions et déterminées formellement par l’accent de langue. Rousseau crée ainsi un système cohérent où sont incluses les valeurs originelles qui étaient apparues dans la Lettre  : imitation, mélodie, accent.

  • 128 Michel Murat , « Jean-Jacques Rousseau : imitation musicale et origine des langues », Travaux de li (...)

107 Le procédé mimétique n’est pas exposé de la même manière qu’il le fut par la plupart des esthéticiens de la première moitié du xviii e  siècle. Avec l’ Essai, on assiste à un renouvellement de la théorie de l’imitation ; renouvellement conditionné par une définition des rapports entre objet et produit. Partant du mythe platonicien de la caverne, Rousseau construit une pensée du « simulacre comme statut fondamental de la représentation 128  ». En fait, l’objet représenté n’existe pas hors son imitation, de sorte que celle-ci relève de la production d’une fiction et prend valeur de suppléance par « une espèce de discours » :

129 Jean-Jacques Rousseau , Essai sur l’origine des langues, 1761, Paris, 1990, p. 125. « Il faut toujours, dans toute imitation, qu’une espèce de discours supplée à la voix de la nature. 129  »

108 Tout le système expressif musical repose sur un jeu d’illusion :

130 Jean-Jacques Rousseau , Nouvelle Héloïse, op. cit., p. 133-134. « Je perdais à chaque instant l’idée de musique, de chant, d’imitation ; je croyais entendre la voix de la douceur, de l’emportement, du désespoir ; je croyais voir les mères éplorées, des amants trahis, des Tyrans furieux. 130  »

131 Jean-Jacques Rousseau , Essai sur l’origine des langues, Paris, 1990, p. 130.

132 Ibid., p. 131.

109 Certes, Rousseau exprime cette nouvelle interprétation du principe mimétique en des termes incertains, flous. Toutefois, elle l’autorise dans l’Essai à reconsidérer ces analogies entre peinture et musique, qui le conduisirent à l’énoncé de deux principes fondamentaux pour le phénomène perceptif. Tandis que la nature offre à l’homme une vision globale de toutes les couleurs, il n’en est pas de même de la musique. La nature dissimule le système harmonique et lorsqu’elle l’offre à l’homme, « c’est successivement », de sorte que « chaque sens a son champ qui lui est propre 131  ». La comparaison du fonctionnement perceptif dans les deux arts se poursuit par la définition du principe de la relativité différentielle. La couleur est une valeur « absolue », alors que le son n’est que « relatif », c’est-à-dire qu’il « n’a par lui-même aucun caractère absolu qui le fasse reconnaître ; il est grave ou aigu, fort ou doux par rapport à un autre 132  » . Dès la Dissertation sur la musique moderne (1743), Rousseau avait pressenti les principes du fonctionnement de la perception auditive :

133 Jean-Jacques Rousseau , Dissertation sur la musique moderne, 1743, dans Ecrits sur la musique, Pari (...) « La méthode que la nature m’a indiquée m’apprend donc non pas à trouver un son fondamental proprement dit, qui n’existe pas, mais à tirer d’un son établi par convention les mêmes avantages qu’il pourrait avoir s’il était réellement fondamental, c’est-à-dire à en faire réellement l’origine et le générateur des autres sons. 133  »

110 Il avait besoin de définir aussi précisément que possible cette relation du langage, verbal ou musical ou pictural, par rapport aux choses, aux éléments appréhensibles par une démonstration chiffrable et tactile, non seulement pour justifier des différences nationales des systèmes musicaux, mais surtout pour poursuivre sa démonstration historique en posant, avec certitude, que la musique « tient plus à l’art humain ». Il faut noter que la définition de tous ces principes lui aurait suffi s’il n’avait voulu fournir qu’une nouvelle formulation du fonctionnement de l’imitation musicale. Or, et cela transparaît dans tous ses écrits, Rousseau est en quête d’un passé pour de multiples raisons qui ont déjà été évoquées.

134 Jean-Jacques Rousseau , « Accent », Dictionnaire de musique, Paris, 1768.

  • 135 Jean-Jacques Rousseau , Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, o (...)

111 Il lui reste donc à définir la congénitalité de la musique et du langage et de ses avatars dans la transformation de l’état de nature à l’état de société. Cette congénuité apparaît originellement sous la forme d’un premier langage qui lui fournit un modèle normatif qu’il fait reposer sur le rapport entre accent et articulation. L’article « accent » du Dictionnaire de musique montre combien l’élément est fondamental parce qu’il représente « la modification de la voix parlante dans la durée ou dans le ton des syllabes et des mots 134  ». Ainsi défini, la preuve est évidente qu’il existe un « rapport très exact entre les deux usages des accents et les deux parties de la mélodie, savoir le rythme et l’intonation ». Or, le Discours sur l’inégalité avait avancé que l’accent ou le cri de la nature devait être « le premier langage de l’homme, le langage le plus universel, le plus énergique 135  ». C’est au départ de ces accents, expressions de l’imitation supplétive des affections et passions du sujet parlant que naît la musique :

136 Jean-Jacques Rousseau , Essai sur l’origine des langues, Paris, 1990, p. 114. « Les retours périodiques et mesurés du rythme, les inflexions mélodieuses des accents firent naître la poésie et la musique avec la langue, ou plutôt tout cela n’était que la langue même. 136  »

137 Jacques Derrida , De la grammatologie, Paris, 1967, p. 349.

112 Il apparaît à la description de la formation de cette musique-langue originelle que le principe de la mimétique semble fonctionner de manière « directe » plutôt que supplétive, puisqu’il faut que cette langue se tienne au plus près de la « nature », afin de lui être mieux accordée. Transparaît ici le conflit entre le système normatif que Rousseau élabore et l’état de nature qu’il construit. Il est significatif, à ce propos, de recourir à la chronologie des écrits. Tandis qu’il renouvellait le concept d’imitation, Rousseau percevait combien il était difficile, quasi impossible, de l’abandonner, s’il voulait conserver sa théorie politico-anthropologique. Ceci autorise à accepter, partiellement, l’assertion de Derrida, prétendant que Rousseau « dit ce qu’il ne veut pas dire, décrit ce qu’il ne veut pas conclure. 137  »

113 .Comme la nature de la musique est conditionnée par la nature du langage originel, il faut en rechercher les caractéristiques dans la signification que transmettent les sons inarticulés :

138 Jean-Jacques Rousseau , Essai sur l’origine des langues, Paris, 1990, p. 123-124. « La mélodie, en imitant les inflexions de la voix, exprime les plaintes, les cris de douleur ou de joie, les menaces, les gémissements ; tous les signes vocaux sont de son ressort. 138  »

114 Tandis que cette première langue fonctionnait par mots peu articulés, par quelques consonnes intercalées entre des voyelles, la musique offrait une palette sonore variée, les combinaisons rythmiques et d’accents y foisonnaient. Il est possible d’en percevoir les caractéristiques dans la mélodie d’aujourd’hui. Mais son idéal de perfection a dû être atteint par les Grecs qui, utilisant de petits intervalles, obtenaient un effet de continuité idéal dans l’inflexion.

139 Michel Murat , op. cit.

115 Le schéma nature-société ou nature-progrès conditionne l’exposé du devenir de cette langue originelle. Celle-ci procédait de sons inarticulés. Le passage s’effectue donc, d’un état à l’autre, par l’articulation progressive. Le concept d’articulation est difficile à cerner et recouvre plusieurs significations. Il s’agit, d’abord, de l’ensemble consonne ; ensuite, et surtout, il désigne le processus de symbolisation. Dans ce sens, il faut y rechercher la transformation d’une langue en langues puisque la convention régit la signification et que celle-ci diffère, théorie des climats à l’appui, d’un lieu à l’autre. Quant à considérer ce changement comme facteur ou comme conséquence de la formation des sociétés, il y renonce ainsi qu’il a été précisé plus haut. Michel Murat a rendu sous forme d’un tableau explicite, reproduit ci-dessous, l’opposition entre accent et articulation ; opposition qui introduit dans la langue originelle le principe de progrès 139 .

116 L’analyse de ce tableau conduit à la caractérisation de la nature des transformations de la musique. L’objectif de Rousseau – élément typique de sa logique d’exposer ses résultats dans une rhétorique cohérente –, est énoncé clairement. Il veut montrer

140 Jean-Jacques Rousseau , Essai sur l’origine des langues, op. cit., p. 142. « (comment) le chant devint par degrés un art entièrement séparé de la parole, dont il tire son origine ; comment les harmoniques des sons firent oublier les inflexions de la voix ; et comment enfin, bornée à l’effet purement physique des vibrations, la musique se trouva privée des effets moraux qu’elle avait produits quand elle était doublement la voix de la nature . 140  »

141 Ibid., p. 143.

117 L’opposition nord-midi n’a pas grande valeur et découle plus d’une justification dans la Querelle des Bouffons que d’une description de l’histoire de la musique. Si la musique passe de l’expression des passions à celle des besoins, c’est parce que la langue primitive s’oriente vers des finalités de caractère pragmatique. La preuve de la dénaturation de la langue réside dans le recours à la gestuelle, mais aussi dans l’usage de « placards au coin des rues et des soldats dans les maisons 141  ». La langue délaisse les douces inflexions pour la rudesse des articulations, l’expression immédiate pour la rationalisation froide et discontinue du discours.

142 Ibid., p. 138.

143 Ibid., p. 142.

118 Il ressort, d’une telle situation, que la mélodie « d’abord si adhérente au discours 142  » se dirige peu à peu vers une existence séparée. La rupture s’accomplit lorsque « la musique se trouva privée des effets moraux qu’elle avait produits quand elle était doublement la voix de la na nature 143  ». Ajouter aussi que les transformations de la langue entraînent des modifications du langage musical. Aux intervalles simples, reflets d’un chant délicatement nuancé, succède l’usage d’intervalles plus grands qui s’offrent aux recherches physiques et géométriques. Ainsi, l’élargissement des systèmes combinatoires supplée à la diminution des nuances expressives. De plus, point important de la dégénérescence, l’harmonie fait son entrée. Il y a donc rejet de la nature puisque l’harmonie ne relève pas d’un système de signes mais d’un système théorique qui exclut toute imitation des passions :

144 Ibid., p. 123. « Quand on calculerait raille ans les rapports des sons et les lois de l’harmonie, comment fera-t-on jamais de cet art un art d’imitation, où est le principe de cette imitation prétendue, de quoi l’harmonie est-elle signe, et qu’y a-t-il de commun entre des accords et nos passions ? 144  »

145 Marie Elisabeth Duchez , op. cit.

119 Décrire cette scission entre langue et musique, cet éclatement d’une expression originelle en langues et musiques, c’est déjà entamer l’évolution de la musique. Il était pourtant nécessaire de montrer ce second état dans le chapitre concernant les origines, dans la mesure où le premier se situe volontairement hors du temps. Marie-Elisabeth Duchez a remarquablement synthétisé la structure du discours rousseauiste sur les origines, particulièrement appliqué au texte sur l’ Origine de la mélodie. Elle distingue six étapes 145  :

  • Une allusion aux « conjectures » (état de nature originel) délaissé pour
  • une réflexion sur « la nature des choses mêmes », le son, la voix, l’accent, et ses incidences dans la musique grecque ; ce qui autorise et justifie
  • une description de l’état idéal de la musique en Grèce.
  • Une réflexion sur la nature des consonances, l’absence d’harmonie.
  • Une entrée dans l’histoire obligée pour justifier la dégénérescence de la musique.
  • Une conclusion réaffirmant la primauté de la mélodie.

120 Ce texte est évidemment un des premiers qu’écrivit Rousseau. Plus tard, il cherchera à exclure toute allusion directe à la mélodie grecque, préférant confiner cette union dans un monde imaginaire, mais plus facile à manier. En dehors de cette légère différence, la rhétorique restera identique.

146 Catherine Kintzler , op. cit., p. 154.

121 Les études ne manquent pas sur la valeur intrinsèque des théories rousseauistes de l’origine de la musique. Par contre, ce qu’il faut souligner avec plus d’insistance, c’est la place de celles-ci dans l’historiographie musicale française du milieu du xviii e  siècle. Les ressemblances avec le texte de Condillac abondent. Pourtant, les deux philosophes divergent sur bien des points. Tout d’abord, l’ Essai sur l’origine des connaissances partait de l’intellect et de la sensorialité, tandis que Rousseau insiste sur le primat de la sensibilité et sur la souveraineté du cœur. Ensuite, et ce point est extrêmement important pour Rousseau lorsqu’il aborde l’état de société, l’invention du langage ne provient pas des besoins mais des passions. Si l’on envisage ses textes seulement du point de vue de la recherche généalogique de la musique, il n’y a pas un véritable bouleversement qui soit survenu. Au contraire, mais cela dépasse le sujet de cette thèse, l’intégration de ces théories originelles joue un rôle fondamental pour la constitution de son anthropologie politique. La musique originelle constitue un élément significatif de cet état de nature que Jean-Jacques voudrait voir renaître, ou naître, afin de sauver la société de sa dégénérescence. Elle est également une réponse aux visions mécanistes de la perception et expression des émotions, à celles qui concevaient l’art comme « capable de susciter l’émotion par la voie matérielle, en s’adressant à la machine du corps sensible, puisque la passion est par elle-même un phénomène physique 146  ». La musique s’exprime, pour Rousseau, par l’accent, phénomène immatériel, et au moyen de la voix directement au cœur.

5. THÉORIES INSTINCTIVISTES

147 Béatrice Didier , op. cit., p. 19-39.

148 Denis Diderot , Ecrits sur la musique, éd. par Béatrice Durand-Sendrail , Paris, 1987, p. 7-26.

122 Une des caractéristiques majeures de l’esthétique musicale d’une partie des Lumières fut de provoquer un éclatement de la notion d’imitation, conséquence d’un élargissement du concept de nature qui n’implique plus seulement le monde extérieur mais également les sentiments humains 147 . Trois esthéticiens de la seconde moitié du xviii e  siècle, Morellet, Chabanon et Boyé vont ainsi proposer de nouvelles solutions à deux problèmes fondamentaux pour l’élaboration de théories génétiques, à savoir la signification universelle de la musique basée sur l’imitation des expressions de la passion humaine et la signification d’une musique absolue. A la base de leurs recherches se situent les réflexions nouvelles de Denis Diderot sur la musique dès le début des années 1750 et qu’il ne développera pas par la suite 148 . Diderot prend pour point de départ l’idée alors acceptée que la musique imite, que ce soit la nature ou les passions et qu’ainsi elle se situe dans un réseau de relations semblable à celui tissé entre le langage et les choses. L’intérêt de ses recherches réside dans l’approfondissement de la notion de parallélisme entre le fonctionnement de la musique et celui de la langue, remettant en question la définition de la musique en tant que langage. Diderot effectue un relevé des analogies formelles et ne peut que constater qu’apparemment, langue et musique fonctionnent de manière identique : propriétés graphiques, syntaxe. Les problèmes apparaissent lorsque le savant tente de rendre compte des analogies essentielles :

149 Denis Diderot , Lettre à Mademoiselle de la Chaux, 1751, dans ibid., p. 84. « La peinture montre l’objet même, la poésie le décrit, la musique en excite à peine une idée. Elle n’a de ressource que dans la durée des sons. Et quelle analogie y a-t-il entre cette espèce de rayons et le printemps, les ténèbres, la solitude, etc. ; et la plupart des objets ? Comment se fait-il donc que, des trois arts imitateurs de la nature, celui dont l’expression est plus arbitraire et la moins précise parle le plus fortement à l’âme ? Serait-ce que, montrant moins les objets, il laisse plus de carrière à notre imagination, ou qu’ayant besoin de secousses pour être émus la musique est plus propre que la peinture et la poésie à produire en nous cet effet tumultueux ? 149  »

123 Ce texte de Diderot, en évoquant les ambiguïtés d’une définition du fonctionnement de l’imitation de la nature, illustre combien il est difficile en 1750 de maintenir la musique dans un système des beaux-arts dont l’imitation reste l’unique principe unificateur. Le recours au « je-ne-sais-quoi », sous forme du hiéroglyphe, s’impose comme catégorie d’analyse de la sensibilité. Diderot évite ainsi de rejeter la notion d’imitation puisque l’hiéroglyphe sert à décrire l’action commune à chaque art avec des moyens différents, mais sous le couvert du mystérieux. L’auteur du Neveu de Rameau mêle à ces hiéroglyphes l’importance de l’idée de rapports, idée développée dans l’article « Beau » de l’ Encyclopédie. Il n’en exclut pas pour autant la notion de plaisir, ni même la théorie d’imitation. Le plaisir s’explique par une perception des rapports contenus dans la nature. Or c’est une idée fondamentale de l’ Encyclopédie que la création d’un art entretient des relations étroites avec la notion de plaisir. En quelque sorte, Diderot parvient à éliminer la théorie ramiste de toutes ses prétentions totalitaires – le beau est issu des rapports qu’ils soient perçus inconsciement ou non –, à relativiser le concept d’imitation, et à introduire une étude des qualités spécifiques de la musique. Le point de vue de l’écrivain ne fut jamais clairement historique. Il ressort cependant de ses textes que les origines de la musique ne doivent pas nécessairement être recherchées en relation avec les autres arts : elle est née d’une perception, sans doute inconsciente, de rapports qui lui sont propres.

124 En novembre 1771, le Mercure de France publiait un texte répercutant de l’abbé Morellet : De l’expression en musique. L’intention du philosophe est d’accommoder la théorie de l’imitation musicale telle que la définissent la plupart des esthéticiens français du milieu du xviii e  siècle de manière à inclure la musique instrumentale. Partant d’une dichotomie que Batteux avait déjà formulée entre nature physique et passions humaines prises comme catégories d’imitation, Morellet concentre son attention sur la première et constate que, dans ce cas, la musique procède comme un langage métaphorique, c’est-à-dire par analogie. Le musicien choisit des objets dans la nature qu’il peut imiter par les sons ou le mouvement de sorte que réalité et produit musical possèdent entre eux un point en commun. Quant aux passions, elles s’organisent autour de deux modes d’expression : les cris inarticulés et le discours articulé. Et c’est parce que la musique en imite la première forme qu’elle a tant de pouvoir émotif. Cette imitation reste possible par des instruments de musique, à la différence qu’il est impossible de nommer la passion imitée. La musique prend un sens pour elle-même et relève du « je-ne-sais-quoi ».

125 Le premier homme procéda donc par analogie pour inventer la musique, puisant dans les bruits de la nature et l’expression inarticulée de ses passions pour créer un nouveau langage qui embellit la nature, physique ou humaine :

150 Morellet , De l’expression en musique, Paris, 1771, p. 132. « L’imitation dans tous les arts doit embellir la nature. 150  »

151 Sur ce processus, voir John Neubauer , op. cit.

126 La théorie de Morellet représente une apologie de l’imitation en tant qu’art et fact humain, à condition que la notion d’imitation soit élargie à celle d’analogie. L’art ne doit pas se réduire à copier mais plutôt à embellir. Le fait de libérer la musique de son attachement aux sons articulés lui confère une valeur nouvelle : elle est devenue art par ses propres ressources. Il y a là un rejet des théories, développées depuis Fontenelle, qui voyaient l’émancipation de la musique dans sa libération propulsive de la parole 151 .

  • 152 Michel-Paul Guy de Chabanon , Observations sur la musique et principalement sur la métaphysique de (...)

127 Michel-Paul Guy de Chabanon voudra tourner le dos à toutes les théories sur l’imitation énoncées avant lui. Il ne cherche pas, comme l’abbé Morellet, un élargissement de la notion. Un des objectifs majeurs de ses Observations sur la musique et principalement sur la métaphysique de l’art (Paris, 1779) est de prouver son assertion initiale : l’instinct musical guide l’invention de la musique. Le problème sera de savoir si cet instinct procède ou non par imitation. Sa méthode consiste à analyser la musique des enfants et des sauvages car « la Musique prise ainsi au berceau, doit conserver tous les caractères de son institution naturelle, & tous ses titres originels qu’aucune convention n’a falsifiées 152  ». Son ouvrage de 1785, De la musique considérée en elle-même et dans ses rapports avec la parole, les langues, la poésie et le théâtre, pose la problématique de manière plus ouverte :

153 Michel-Paul Guy de Chabanon , De la musique considérée en elle-même et dans ses rapports avec la pa (...) « Dans quelle vûe la nature paroit-elle le [le langage naturel que serait la musique] leur avoir donné ? Quels en sont les caractères primitifs ? Peut-on lui attribuer le mérite de l’universalité ? Seroit-il vrai que le chant fût un par toute la terre ; que, en résultant des proportions harmoniques, qui sont une loi invariable de la nature, sa principale constitution fût invariable aussi. 153  »

128 Chabanon va répondre positivement à ces questions. Même s’il existe quelques différences liées à l’époque, au climat, il y a une langue commune à tous les peuples, ou que du moins, ils peuvent tous comprendre. Quant à l’harmonie, elle demeura longtemps inconnue des hommes, ce qui n’empêche que ses fondements sont naturels. Où Chabanon se sépare de la tradition, c’est lorsqu’il affirme que le chant ne fut pas la première expression des émotions dans les sociétés primitives. Cette erreur, dont il relève la fréquence chez ses prédécesseurs et contemporains, en déclarant ouvertement la guerre à Rousseau et aux Encyclopédistes, repose, prétend-il, sur une mauvaise présomption, à savoir que le mot est mère de la chanson. Chabanon suggère que les premiers hommes s’exprimaient plutôt par des chants sans paroles qui procèdent de la musique instrumentale. De plus, et surtout, leurs intentions n’étaient pas d’imiter leurs émotions, puisque, reprenant Morellet, la musique est incapable de décrire une passion précisément. Il en va de même de l’imitation des phénomènes naturels. Elle existe en musique mais seulement dans des œuvres produites dans des milieux sociaux plus évolués et là-même, elle ne prend valeur que si elle s’intégre à une action dramatique.

129 Pour intéressante qu’elle soit, la théorie de Chabanon n’en manque pas moins de fondements parce qu’il n’est pas parvenu à expliquer comment fonctionnait la musique originairement. Il y a bien des allusions, au moyen des analogies musique-architecture, à la question des rapports. Chabanon trouve une réponse facile : il y a en l’homme un instinct musical. Comment sort-il de sa latence ? La réponse de l’auteur se limite à l’élimination d’une solution possible : ce n’est pas par imitation, parce que la musique ne parvient pas à imiter. Conjecturer la formation d’un art musical sans paroles, semblable à l’art instrumental, laisse également supposer un état de raffinement qui provoque une diminution de la capacité de progrès dans l’histoire.

  • 154 A plusieurs reprises les historiens de la musique se sont servis de travaux réalisés par des lingu (...)

130 Le troisième esthéticien qui va tenter de développer une nouvelle théorie sur l’élargissement du concept d’imitation est Boyé, figure importante qui influencera encore Hanslick. L’expression musicale mise au rang des chimères (Paris, 1779) aborde les problèmes d’une manière amusante et un peu provoquante. Boyé veut tout rejeter pour établir de nouvelles normes de compréhension du fonctionnement de la musique. Le point fondamental de sa réflexion se situe dans l’abandon de l’idée selon laquelle la musique devrait imiter la déclamation afin de rendre efficacement l’expression des passions. Au départ des théories symboliques de Langer sur le vocabulaire 154 , il soutient que si les mots ont une prosodie et un sens prédéfini, il n’en est rien des notes musicales :

155 Boye , L’expression musicale mise au rang des chimères, Paris, 1779, p. 6. « Enfin, tout l’art Musical possible ne sauroit noter ni les cris, ni les plaintes, ni les gémissements, ni les exclamations, ni les sanglots, ni les ris, ni les pleurs : c’est un fait incontestable. 155  »

156 Ibid., p. 10.

157 Ibid., p. 11.

131 Il démontre astucieusement sa constatation par la notion d’imitation. Si la passion emploie comme moyen d’expression naturel les accents du chant, la musique, art d’imitation, devrait « imiter les accens du Chant par les accens du Chant 156  ». Boyé pousse plus loin l’auto-critique de la théorie de l’imitation : d’aucuns prétendent que l’art consiste en une imitation sélective de la nature, or la musique est constituée « des sons fixes & déterminés, des cadences, des port-de-voix, des martellements, des roulades, &c... Je vous défie de pouvoir dire que rien de tout cela soit pris dans la nature 157  ». La confusion majeure provient explique-t-il, des esthéticiens qui mêlèrent caractère et expression. Il en profite pour placer un nouveau sarcasme :

158 Ibid., p. 15-16. « S’il étoit permis de confondre ainsi les caractères avec les passions, quoique les uns soient aux autres à-peu-près ce que le repos est au mouvement, ma robe de chambre aurait donc de l’expression ; car ma Cuisinière me disoit l’autre jour que le dessein en est triste. 158  »
  • 159 Maria Rika Maniates , « Sonate, que me veux-tu ? The enigma of French musical aesthetics in the eig (...)

132 Le ton du discours laisse dans l’ombre bien des points de la pensée qui auraient mérité d’être éclairés d’autant que Boyé, en rejetant l’esthétique qui avait prévalu, semble revenir à des concepts baroques comme celui de statisme, ou d’émotion abstraite de la musique 159 .

133 L’attitude de Boyé devant les origines reste dans la lignée de Chabanon. Pourtant, pour appuyer son hypothèse, il lui fallait absolument découvrir à la musique des origines qui puissent ne pas entrer en contradiction avec sa théorie. Sa vue réductrice – la musique n’imite ni les phénomènes naturels, ni les expressions des passions – le conduit à n’envisager la fin de la musique que dans le plaisir ;

160 Boye , op. cit., p. 23. « L’objet principal de la Musique est de nous plaire physiquement, sans que l’esprit se mette en peine de lui chercher d’inutiles comparaisons. On doit la regarder absolument comme un plaisir des sens, et non de l’intelligence. 160  »

134 Le problème qu’il évite est de définir comment un homme a pris, au cours de l’histoire de l’humanité, conscience du plaisir de la musique, puisque il n’en a pas cherché l’exemple ni dans la nature physique, ni dans la nature humaine. Il en vient même à imaginer une union de la musique et du langage verbal aux débuts par la prédominence de la voix sur les instruments ; voix qui ne peut fonctionner sans la parole. Les premiers musiciens s’attelèrent donc à conférer à la musique un sens en relation avec le texte, pas par désir, mais par obligation. Si les musiciens s’en sont affranchis, il n’en demeure pas moins qu’elle fut suffisamment forte pour orienter la recherche esthétique vers la notion d’expression.

135 Le récit de Boyé manque de cohérence s’il est envisagé sous l’angle de l’historiographie. En fait, son texte se justifie pour d’autres raisons : une réhabilitation de la musique instrumentale malmenée par les théories imitatives et une satire, le ton et l’insistance sur le rôle des sens plus que sur celui de l’intellect, des philosophes du goût. Tout comme celle de Morellet ou de Chabanon, la philosophie esthétique de Boyé, si elle a contribué à détacher la musique de ses liens avec les autres arts, à diriger l’attention vers ses qualités spécifiques, manque de l’unité qu’offraient l’ Essai sur l’origine des connaissances de Condillac, l’ Encyclopédie ou encore les écrits de Rousseau. Elle s’offre comme parenthèse, néanmoins constituante, dans un mouvement de recherche sur les origines de la musique fondée sur les phénomènes naturels.

136 L’intention du comte de Lacépède était de dresser une table de poétique de la musique. Aussi ses travaux sur les origines de la musique sont-ils conditionnés par le caractère signifiant. La conclusion de la première partie de La poétique de la musique (1785) illustre sa démarche :

161 Bernard de Lacepede , La poétique de la musique, Paris, 1785,1, p. 46. « Ainsi les différentes parties de la musique ont reçu leurs origines. Amours, douleur, terreur, c’est à vous qu’elles les doivent. 161  »

137 Un tel plan laisse supposer une totale acceptation du principe d’imitation. Néanmoins, Lacépède subit l’influence de Morellet, Chabanon et Boyé, lorsqu’il montre combien il est difficile de conserver une place à la musique dans un système des beaux-arts axé sur l’imitation de la nature :

162 Ibid., p. 78. « Et pourquoi passerions-nous les bornes que la musique ne peut passer ? Elle est assez riche pour que nous disions ce qui lui manque et que sa nature l’empêche d’acquérir ; elle a donc besoin qu’on fixe ce qu’elle peut avoir de vague, qu’une expression étrangère vienne compléter son sens. 162  »

163 Ibid., p. 6.

138 Le premier facteur introduit par Lacépède est l’expression d’une passion douloureuse, la musique ne peignant bien que « les événements tristes, que les sensations déchirantes, que les situations mélancoliques, que les sentiments sombres & profonds 163  ». L’instinct semble guider ses débuts. Peu après, mais toujours avant le Déluge, l’homme cherche à communiquer ses sentiments amoureux à sa compagne et réciproquement. De là provient le duo. Le Déluge oblige les hommes à célébrer Dieu : la musique devient moyen de prière au régisseur du monde. Ces louanges s’exprimaient par des chants choraux où les voix des hommes mêlées à celles des femmes et des enfants produisaient des chœurs à l’octave. Cependant, certaines voix ne s’intégraient dans aucun des deux groupes de sorte qu’une troisième voix est apparue naturellement, posant les fondements de l’harmonie. Cet établissement résulte, tout comme les premières expressions musicales, de l’instinct :

164 Ibid., p. 29-30. « Ce n’est point par des combinaisons réfléchies, ce n’est pas par une suite de raisonnemens, que les hommes sont parvenus à former ce premier chœur ; au milieu de leur affreuse calamité, ils ne pouvoient que sentir. 164  »

139 Les chants des premiers hommes étaient organisés grâce à la danse, seule occasion où la musique exprimait des sentiments heureux. Celle-ci leurs confère une forme régulière, en distribue les parties différentes, et donne l’idée de cultiver les répétitions. L’emprise de cette expression de la joie croît et domine l’inspiration des chants choraux :

165 Ibid., p. 32-33. « ... ce chœur de réjouissance à prendre une forme régulière, à être coupé en petites portions, à être périodiquement répété. Ainsi fut formé le premier chœur de joie, le premier où les accens du bonheur dominèrent sur les autres accens, & en quelque sorte régnèrent seuls. 165  »

140 La danse ne fut pas seule à contribuer à la formation d’un art musical mesuré. Les hommes s’adonnèrent à célébrer les triomphes de leurs dieux ou de leurs héros dans une forme facilement mémorisable. Les procédés antiphoniques naissent : le peuple répond aux invocations du prêtre ou du héros. Pour faciliter ce jeu, le poète distribue son texte en segments brefs sur lesquels se plaque la musique.

166 Ibid., p. 33.

141 Tous les peuples ne réagirent pas de la même manière. Lacépède intègre la théorie du climat de Dubos à son schéma général et procède comme il venait de le faire pour les sentiments de terreur et de joie avec l’expression de la barbarie. Tandis que les contrées « fortunées » produisent des chants pathétiques et joyeux, d’autres, aux « climats disgrâciés & à demi envahis par les glaces 166  », s’adonnent aux chants guerriers et aux chœurs militaires. Si l’instinct fait découvrir aux habitants de certaines parties du monde les avantages de l’harmonie, c’est la physiologie qui empêche les autres d’en percevoir les qualités. La mise en catégories des caractères poétiques de la musique contraint en quelque sorte Lacépède d’appliquer à chaque cas, dans la mesure où il inclut la théorie des climats, une nouvelle genèse du musical même si l’instinct demeure le mécanisme premier.

142 Il n’est pas seul. Lacépède trouve le moyen de placer la théorie de l’imitation lorsqu’il traite de l’invention des instruments. C’est parce que le berger entend que les roseaux produisent des sons proches des accents de la voix, qu’il inventa les instruments à vent. A partir du moment où le premier instrument est construit, l’homme n’aura plus recours à l’imitation mais à l’expérience pour élargir sa gamme d’instruments :

167 Ibid., p. 37. « Cependant l’on tendit des cordes de métal ou de boyau : l’expérience apprit qu’elles resonnoient lorsqu’on les faisoit vibrer, en les pinçant, en les frappant légèrement, ou en les pressant & les agitant doucement par le moyen d’un archet. 167  »
  • 168 Johann Nicolaus Forkel , Allgemeine Geschichte der Musik, Leipzig, 1788, vol. I, p. 69 : « Sie ist (...)
  • 169 André-Modeste Gretry , Mémoires ou Essai sur la musique, Liège, 1787, p. 154 : « un élan de l’âme, (...)

143 Les propositions de Lacépède ne frappent pas par leur originalité. D’autres avaient développé avant lui le rôle de l’instinct, l’influence des climats sur la formation de musiques régionales, l’apparition de l’harmonie par l’intervention naturelle d’une troisième voix, l’imitation comme génératrice de l’idée du premier instrument, l’expérience comme procédé d’expansion et de raffinement. La nouveauté réside dans l’intégration de ces idées au sein d’un poétique générale de la musique. Même s’il est possible de déceler des prémonitions de cette conception dans l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau, il n’en demeure pas moins que La poétique de la musique est la première tentative d’explication de définitions pré-romantiques de la musique comme celle de Forkel 168 ou de Grétry 169 . L’intérêt, pour les tentatives de reconstitution historique des débuts de la musique, se situe dans un déplacement du point de vue et de la manière d’aborder le problème. Débarrassée des contraintes de la raison, la musique relève plus de l’instinct que d’un principe finalement géométrisable comme l’était celui d’imitation. Il faut chercher le moteur de la musique là où elle touche : elle naît de l’homme pour l’homme. Lacépède, s’il ne satisfait plus les exigences de la raison, introduit à la réflexion romantique sur le phénomène musical. Une des conséquences de ce point de vue réside dans l’affaiblissement de l’intérêt historique. Tandis que précédemment, tous les théoriciens se sentaient « obligés » de poser des fondements génétiques à leurs essais, les esthéticiens du dernier tiers du xviii e  siècle évitent la question, n’y voyant pas un enjeu de premier ordre puisque l’important est de découvrir les chaînons du réseau entre le fonctionnement de l’art et l’expression individuelle des sentiments.

6 Peter dear (Mersenne and the Learnings of the Schools, Ithaca, 1988, p. 48-116) a remarquablement montré les implications philosophiques de l’application du mécanisme aux différentes branches du savoir.

9 Ibid., p. 15.

10 Les implications des théories historiques de Mersenne concernent également la hiérarchisation musique vocale-musique instrumentale. Voir Philippe Vendrix , « La dichotomie vocal/instrumental dans la théorie musicale aux confins de la Renaissance et du Baroque », Le Concert des voix et des instruments à la Renaissance, Paris, 1992 (sous presse).

12 Ibid, p. 3.

13 James MacKinnon , « Jubal vel Pythagoras, Quis sit inventor musicae ? », The Musical Quarterly, LXIV/1 (1978) p. 1-28. Si certains auteurs préfèrent présenter les deux possibilités, d’autres choisissent résolument d’attribuer à Jubal ou à Pythagore l’invention de l’art musical. Cette dualité persistera au xviii e  siècle, même si de nouvelles théories qui parviennent à concilier tous les avis furent énoncées. Ainsi, Jean-Etienne Montucla , dans son Histoire des mathématiques (Paris, 1758) tranche sans discussion : « La découverte que Pythagore fit sur le son, est une des plus belles de ce Philosophe, & elle donna naissance à une quatrième branche des Mathématiques, sçavoir, la musique » (op. cit., vol. I, p. 122).

14 Don Harran a montré en quoi l’attachement au texte de la Bible revêtait une valeur spécifique pour les historiens chrétiens. Étant donné que l’être humain tient de la nature divine, l’acte de parole l’aide à mieux percevoir l’esprit de Dieu et à le distinguer et des animaux et des autres humains (« Moses as poet and musician in the ancient theology », La musique et le rite. Sacré et profane, Strasbourg, 1986, p. 233-251).

16 Ibid., f° 24.

17 Philippe Vendrix , « Proportion harmonique et proportion architecturale dans la théorie française des xvii e et xviii e  siècles », International Review of the Aesthetics and Sociology of Music, 20/1 (1989) p. 3-10.

18 A. Pherotee de Lacroix , L’art de la poésie françoise et latine , avec une idée de la musique sous une nouvelle méthode , Lyon, 1694, p. 630.

19 Ibid., p. 620.

22 Jacques Bonnet - Bourdelot , Histoire de la musique et de ses effets, Paris, 1715, p. 2.

24 Ibid., p. 108.

25 Ibid., p. 255.

28 Ibid., p. 170.

29 Lecerf de la Vieville , dans sa Comparaison de la musique italienne et de la musique françoise (Bruxelles, 1705) avait pris position en sens inverse : « Ils (les oiseaux) ont chanté les premiers ; & selon un Auteur très-vénérable, ils ont fait songer les hommes à chanter aussi. Si ç’a été Prométhée ou Maneros, honorez comme inventeurs de la Musique, qui ont reçû des oiseaux cette jolie Science, vous ne vous en souciez pas beaucoup » (« Seconde lettre », p. 153). Lecerf se range parmi les auteurs qui considéreront frivole de s’interroger sur les origines de la musique.

31 Psyché (1678), Bellérophon (1679), Thétis et Pélée (1689), Enée et Lavinie (1690). Voir Béatrice Didier , « Fontenelle et la poétique de l’opéra », Actes du colloque Fontenelle, Paris, 1988, p. 235-246.

32 Bernard Le Bovier de Fontenelle , Œuvres complètes, éd. par G.-B. Depping , Paris, 1818, t. III, p. 52.

33 Fontenelle sait qu’il part sur des postulats qui sont faux, à la fois chrétiens primitifs et payens mis ensemble. Il réalise qu’il ne peut pas aller plus loin.

34 II convient de rappeler l’importance du rôle joué par Fontenelle dans la diffusion de l’idée d’Arcadie issue d’Italie.

35 Ibid., t. III, p. 35.

37 Ibid., p. 37.

39 On pourrait situer le texte de Caylus , Lettre sur l’origine de la musique (manuscrit que Maurice Barthélemy date des années 1752-1754, dans « Le comte de Caylus et la musique », Revue belge de musicologie, XLIV (1990) p. 5-12), dans la lignée du primitivisme idyllique du premier Fontenelle. Caylus imagine tout un scénario, faisant de la création de la musique le sujet d’une pastorale digne d’être mise en musique. Fruit des amours d’Eros et Psyché, Volupté crée la musique, car, à l’aide d’un roseau, « elle trouva moyen de peindre par les sons les différentes agitations d’un cœur amoureux : langueurs, larmes, délices, joie douce et naïve... La Volupté ne s’en tint pas à ce coup d’essai ; elle inventa plusieurs instruments ayant tous des beautés particulières et propres à caractériser et à peindre tous les différents mouvements de l’âme » (cité d’après Maurice Barthelemy , op. cit., p. 7). Cependant, l’intention de Caylus n’était pas de proposer une nouvelle interprétation des origines de la musique mais plutôt de prendre position dans la querelle des Bouffons qui battait alors son plein dans la capitale française.

40 Félix Juvenel de Carlencas , Essais sur l’histoire des belles lettres, des sciences et des arts, Lyon, 1749, vol. I, p. 80.

41 Ibid., p. 62.

42 Ibid., p. 70-71.

44 Cette édition en deux volumes fut suivie d’une nouvelle édition revue et corrigée en trois volumes à Utrecht en 1732 et à Paris en 1733.

45 Sur l’abbé Dubos en général, voir Alfred Lombard , L’Abbé Du Bos : Un initiateur de la pensée moderne, Paris, 1913. Pour ses théories musicales, John Neubauer , The Emancipation of Music from Language, Yale, 1986.

47 Ibid., vol. II, p. 6-7.

51 Ibid., p. 28.

53 Pour la musique, voir Ruth Catz et Ruth Hacohen , « Ut Musica Poesis. The Crystallization of a Conception Concerning Cognitive Processes and’Well-MadeWorlds’ », Das musikalische Kunstwerk. Geschichte. Aesthetik. Théorie. Festschrift Cari Dalhaus zum 60. Geburstag, Laaber, 1988, p. 17-38.

54 Charles Batteux , op. cit., p. 319-320.

55 Cette notion de plaisir comme moteur de la création que l’on trouvait aussi chez Gresset et qui est un point commun aux théories primitivistes et esthétiques, perdurera tout au long du xviii e  siècle. On en trouve trace dans l’Origine des découvertes attribuées aux modernes de Louis Dutens (Paris, 1776) : « La musique est aussi ancienne que le monde ; elle semble née avec l’homme pour l’accompagner dans sa pénible carrière, adoucir ses travaux, & charmer ses peines ; ce fut là son premier usage » ( op. cit., vol. II, p. 236-237). Lorsqu’un historien recourt au plaisir comme source de création, il fait chaque fois allusion à Quintilien.

56 Charles Batteux , op. cit., p. 6.

61 Etienne Bonnot de Condillac , Essai sur l’origine des connaissances humaines, Amsterdam, 1746, éd. par Raymond Lenoir , Paris, 1924. La meilleure introduction à Condillac est de Jacques Derrida , L’archéologie du frivole, Paris, 1990.

63 Ibid., p. 111.

64 Ibid. Condillac reprend une mise en situation qu’avait proposée Pufendorf dès le dernier tiers du xvii e  siècle dans Les devoirs de l’homme et des citoyens (1673).

65 Jean Dagen , Histoire de l’esprit humain dans la pensée française de Fontenelle à Condorcet, Paris, 1977, p. 96-106.

72 La Divine Legation of Moses de Warburton (Londres, 1737-1741) avait été traduite en français sous le titre d’Essai sur les hiéroglyphes des Égyptiens en 1744.

73 René Hubert , Les sciences sociales dans l’Encyclopédie. La philosophie de l’histoire et le problème des origines sociales, Paris, 1923.

74 Louis de Cahusac , « Geste », Encyclopédie, Paris, 1757, t. VII.

75 Jean-Jacques Rousseau , « Musique », Encyclopédie, Paris, 1765, t. X.

76 Louis de Cahusac , « Chant », Encyclopédie, Paris, 1753, t. III.

82 Maurice Barthelemy , « Essai sur la position de D’Alembert dans la Querelle des Bouffons », Recherches sur la musique française classique, 6 (1966) p. 159-175. Voir également Robert M. Isherwood , « The conciliatory partisan of musical liberty : Jean Le Rond d’Alembert, 1717-1783 », French Musical Thought, 1600-1800, Ann Arbor, 1989, p. 95-120.

83 Jean Le Rond d’Alembert , Eclaircissements, dans Œuvres complètes, Paris, vol. IX, p. 244.

84 Charles-Henri Blainville , Histoire générale, critique et philologique de la musique, Paris, 1767, p. 5.

87 Anne-Gabriel Meusnier de Querlon , « Mémoire historique sur la chanson en général, et en particulier sur la chanson françoise », Anthologie françoise ou chansons choisies, depuis le 13e siècle jusqu’à présent, Paris, 1765.

88 Ibid., p. 1.

90 Ibid., p. 3.

92 Dard , Origine et progression de la musique, suivies du parallèle de Lully et de Rameau, Paris, 1769.

95 Ibid., p. 2.

97 Karin Pendle , « Les philosophes and opéra-comique : The Case of Grétry’s Lucile », The Music Review, XXXVIII/3 (1977) p. 177-191.

98 Dom Caffiaux , Histoire de la musique, Paris, B.N., ms.fr. 22357, f° 565’.

100 Yves-Marie André , Essai sur le Beau où l’on examine en quoi consiste précisément le Beau dans le physique, dans le moral, dans les ouvrages de l’esprit, et dans la musique, Paris, 1741.

102 Jean-Benjamin de Laborde , Essai sur la musique ancienne et moderne, Paris, 1780, p. V.

103 Ibid.,p.  1.

104 Jean-Philippe Rameau , Démonstration du principe de l’harmonie, Paris, 1750, p. VI.

105 Jean-Philippe Rameau , Nouvelles réflexions de M. Rameau sur sa « Démonstration du principe de l’harmonie », Paris, 1752, p. 215.

106 Ibid., p. 93.

108 Jean-Jacques Rousseau , « Consonance », Encyclopédie, Paris, 1754, t. IV.

109 Jean-Philippe Rameau , op. cit., p. 216-217.

111 Philippe Lescat , « Conclusion sur l’origine des sciences. Un texte méconnu de Jean-Philippe Rameau », Jean-Philippe Rameau. Colloque international 1983, Paris-Genève, 1987, p. 409-424.

112 Anne-Marie Chouillet a brillamment montré les différentes étapes de la scission de Rameau avec le milieu des Encyclopédistes (« Présupposés, contours et prolongements de la polémique autour des écrits théoriques de Jean-Philippe Rameau », Jean-Philippe Rameau. Colloque international 1983, Paris-Genève, 1987, p. 425-443).

113 C’est à une conclusion assez identique qu’aboutit Herbert Schneider dans son étude du dernier traité de Rameau : Vérités également ignorées et interressantes tirées du sein de la nature (1764) (Jean-Philippe Rameaus letzter Musiktraktat, Stuttgart, 1986, p. 71-102).

114 Voir Catherine Kintzler , « Rameau : le sujet de la science et le sujet de l’art à l’âge classique », Jean-Philippe Rameau. Colloque international 1983, Paris-Genève, 1987, p. 461-469.

115 Jean-Philippe Rameau , Origine des sciences, Paris, 1762, p. 8.

116 Marie-Elisabeth Duchez ,« Principe de la mélodie et Origine des langues. Un brouillon inédit de Jean-Jacques Rousseau sur l’origine de la mélodie », Revue de musicologie, LX/1-2 (1974) p. 33-86 ; Robert Wolker , « Rameau, Rousseau and the Essai sur l’origine des langues », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 117 (1974) p. 179-230 ; Béatrice Didier , La musique des Lumières, Paris, 1985 ; et surtout Jean Starobinsky , « Présentation » et « Etudes annexes », Rousseau. Essai sur l’origine des langues, Paris, 1990, p. 9-54, 147-189.

117 Catherine Kintzler , Jean-Philippe Rameau. Splendeur et naufrage de l’esthétique du plaisir à l’âge classique, Paris, 1983.

118 Jean-Jacques Rousseau , Lettre sur la musique française, Paris, 1753, dans Ecrits sur la musique, Paris, 1979, p. 269-270.

119 Jean-Jacques Rousseau , Nouvelle Héloïse, 1761, dans Œuvres complètes, Paris, 1964, vol. II, p. 131.

120 Jean-Jacques Rousseau , Lettre sur la musique française, 1753, op. cit., p. 283.

123 Jean-Jacques Rousseau , Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Amsterdam, 1755, dans Œuvres complètes, Paris, 1964, vol. III, p. 151.

127 Ibid., p. 123. Sur les similitudes de méthodologie entre le Discours et l’Essai, voir Henri Grange , « L’Essai sur l’origine des langues dans ses rapports avec le Discours sur l’origine de l’inégalité », Annales historiques de la Révolution française, XXXIX (1967) p. 291-307.

128 Michel Murat , « Jean-Jacques Rousseau : imitation musicale et origine des langues », Travaux de linguistique et de littérature publiés par le Centre de philologie et littérature romane de l’Université de Strasbourg, XVIII/2 (1980) p. 145-168.

129 Jean-Jacques Rousseau , Essai sur l’origine des langues, 1761, Paris, 1990, p. 125.

130 Jean-Jacques Rousseau , Nouvelle Héloïse, op. cit., p. 133-134.

133 Jean-Jacques Rousseau , Dissertation sur la musique moderne, 1743, dans Ecrits sur la musique, Paris, 1979, p. 54.

135 Jean-Jacques Rousseau , Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, op. cit., p. 148.

136 Jean-Jacques Rousseau , Essai sur l’origine des langues, Paris, 1990, p. 114.

138 Jean-Jacques Rousseau , Essai sur l’origine des langues, Paris, 1990, p. 123-124.

140 Jean-Jacques Rousseau , Essai sur l’origine des langues, op. cit., p. 142.

144 Ibid., p. 123.

149 Denis Diderot , Lettre à Mademoiselle de la Chaux, 1751, dans ibid., p. 84.

150 Morellet , De l’expression en musique, Paris, 1771, p. 132.

152 Michel-Paul Guy de Chabanon , Observations sur la musique et principalement sur la métaphysique de l’art, Paris, 1779, p. 21.

153 Michel-Paul Guy de Chabanon , De la musique considérée en elle-même et dans ses rapports avec la parole, les langues, la poésie et le théâtre, Paris, 1785, p. 2.

154 A plusieurs reprises les historiens de la musique se sont servis de travaux réalisés par des linguistes. Sur l’apport des linguistes à l’historiographie, voir Daniel Droixhe , La linguistique et l’appel de l’histoire (1600-1800). Rationalisme et révolutions positivistes, Paris, 1977.

155 Boye , L’expression musicale mise au rang des chimères, Paris, 1779, p. 6.

158 Ibid., p. 15-16.

159 Maria Rika Maniates , « Sonate, que me veux-tu ? The enigma of French musical aesthetics in the eighteenth century », Current Musicology, 9 (1969) p. 117-140.

160 Boye , op. cit., p. 23.

161 Bernard de Lacepede , La poétique de la musique, Paris, 1785,1, p. 46.

162 Ibid., p. 78.

164 Ibid., p. 29-30.

165 Ibid., p. 32-33.

167 Ibid., p. 37.

168 Johann Nicolaus Forkel , Allgemeine Geschichte der Musik, Leipzig, 1788, vol. I, p. 69 : « Sie ist eine Sprache unseres Herzens ».

169 André-Modeste Gretry , Mémoires ou Essai sur la musique, Liège, 1787, p. 154 : « un élan de l’âme, le langage du cœur ».

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Chapitre IV. Les origines de la musique

La musique et son histoire en France aux XVII e et XVIII e siècles

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Faculté de musique – Thèses et mémoires

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